Avocat, pionnier du droit des technologies avancées et du droit de l’informatique, puis de l’internet et des réseaux sociaux, mais aussi du droit des technologies robotiques, Alain Bensoussan, fondateur du cabinet d’avocats Lexing, participe depuis 2015 à la mise en place d’un encadrement juridique des activités robotique et de l’IA.
Il a dernièrement évoqué l’évolution de l’intelligence artificielle pour les professionnels du monde juridique, en parlant du monde de demain où "les IA et les humains conjugueront leurs efforts".
Affiches Parisiennes : Est-ce que l’intelligence artificielle a sa place dans le droit ?
Alain Bensoussan : L’utilisation de l’intelligence artificielle, pour tous les professionnels utilisant la matière juridique, est possible, facile et opérationnelle. Elle changera le monde. Il y aura un avant l'intelligence artificielle et un après. Comme il y a eu un avant l'informatique et un après l'informatique, un avant le PC et un après le PC, un avant l'Internet et un après l'Internet. Le monde de demain sera celui de la mixité dans le monde du travail.
Qu’entraînera cette mixité ?
La nécessité d'utiliser l'intelligence artificielle entraînera des gains de productivité, et ces gains de productivité auront pour conséquence d'augmenter cette nécessité. Le monde de demain, pour le secteur juridique comme pour de très nombreux secteurs d'activité, c'est la conjugaison, à égalité, entre les robots conversationnels et les humains. Quand nous parlons de “robot conversationnel”, il s’agit un terme général. En réalité, nous évoquons l'utilisation de l'intelligence artificielle, notamment dans le domaine du droit, avec ChatGPT, le plus célèbre développé par OpenAI, ou son concurrent qui arrive, Bard, l’IA de Google.
Que change l’intelligence artificielle ? Qu’est-ce qui est utile pour les métiers du droit ?
C'est un nouveau paradigme. À titre personnel, dans mon cabinet, j'ai généralisé ChatGPT. Bien-sûr, il faut l'organiser. Mais Chat GPT offre de très nombreux outils. J’en privilégie trois pour le juriste, pour l'avocat, le notaire et l'expert-comptable.
L'outil immédiatement opérationnel, facile à mettre en œuvre, c'est le résumé. J’'ai demandé à ChatGPT de me résumer la réglementation DORA – Digital Operational Resilience Act, consacrée à la résilience opérationnelle numérique du secteur financier, NDLR –, entrée en vigueur en 2023, qui est complexe. Il m’a indiqué qu’il ne pouvait pas me répondre, puisque cette réglementation est récente et qu’il a des lacunes sur tous les sujets postérieurs à septembre 2021. J'ai donc posé la même question à Bard, qui vient d'arriver sur le marché et qui n’est pas soumis à cette contrainte de temps. Il a réussi à me faire un résumé parfaitement opérationnel.
Tous les textes peuvent-ils être résumés par l’IA ?
Pour tous les textes antérieurs à septembre 2021, même avec un peu de technicité, il me semble que ChatGPT est meilleur que Bard, mais pour ceux postérieurs à cette date, c’est l’inverse. Toutefois, ils vont tous les deux s’améliorer. Ce qu’il faut retenir, c’est que les résumés faits par ChatGPT et Bard sont excellents en première approche.
Quels sont les autres outils à utiliser pour les métiers juridiques ?
Le deuxième outil au quotidien est le script d'analyse. Vous pouvez demander à l'un comme à l'autre, en le tutoyant, et après lui avoir dit bonjour, "Est ce que tu peux me donner le résumé d'un texte, en termes d’obligations, mais sous la forme d'une liste de points ?". À ce moment-là, il ne va plus faire un résumé, mais donner les traits saillants sur un script permettant, par exemple, de préparer un rendez-vous thématique avec un client.
Et le troisième outil ?
Le troisième outil au quotidien est la vérification de la compréhension de termes techniques. Nous parlons souvent en matière d'intelligence artificielle, par exemple, de grand large modèle, de modèle de fondation ou de modèle de base. Ce sont des termes équivalents et c'est tellement simple de demander à ChatGPT : "C'est quoi un modèle de fondation ?". En fait, c'est son propre système. Auparavant, si nous voulions chercher la définition d’un modèle de fondation, il fallait effectuer une recherche sur Google. Vous obteniez des réponses plus ou moins intéressantes. Avec ChatGPT ou Bard, plus besoin de perdre son temps à obtenir une somme de textes qu'il faudra analyser. Nous disposons immédiatement d’une définition très opérationnelle, qui peut même être donnée en mode vocal.
Quelles sont les limites aux intelligences artificielles ?
Il faut faire très attention, car ChatGPT, comme Bard, ont parfois des hallucinations. Ils disent des choses complètement fausses, même parfois complètement folles. Ils sont excellents, mais de temps en temps, comme des humains, ils commettent des erreurs. Il nous appartient de ne pas prendre les éléments tels qu'ils sont présentés, mais de faire preuve d’un certain niveau de discernement.
En effet, ces systèmes ont une particularité : ils travaillent un mot après l'autre, sur des token et des jetons. Ils essaient de prédire le mot dont la probabilité est la plus grande d’après les textes que vous leur avez présentés. Alors ils inventent des mots en fonction des probabilités, de leur expérience, et des textes qu'ils ont appris.
Comment bien les utiliser alors ?
Ces intelligences artificielles sont des aides à la compréhension. Ils ne sont pas des remplaçants. Le monde de demain, c'est un monde où les IA et les humains conjugueront leurs efforts, pas simplement pour une meilleure productivité, même s’il y aura des gains de productivité, mais pour une meilleure compréhension de notre vie au quotidien.