En plus de promouvoir la légitimité et la déontologie des avocats dans leur mission de conseil et d’enquête, l’association a également pour objectif de les former pour qu’ils renforcent leurs compétences dans la pratique des enquêtes internes.
Affiches Parisiennes : Nathalie Attias, vous venez de fonder une nouvelle association, l'Anaes, pour promouvoir le rôle de l’avocat enquêteur en droit social. Pouvez-vous nous en parler ?
Nathalie Attias : Nous avons fondé cette association à quatre, avec Nathalie Leroy, Véronique Tuffal-Nerson et Richard Doudet, qui est actuellement bâtonnier de Limoges. On a eu l’idée de créer cette association après être intervenus ensemble au colloque organisé par le CNB sur l'enquête interne. Celle-ci a de plus en plus d’échos parce que les problématiques de santé au travail et de risques psychosociaux sont de plus en plus importantes. En effet, la Cour de cassation demande à l'employeur, lorsqu'il est alerté par un salarié, d'organiser dans les plus brefs délais une enquête interne pour, à la fois investiguer sur les circonstances alertées par le salarié, essayer de trouver une qualification juridique et proposer des recommandations à l'entreprise pour mettre un terme ou prévenir les risques psychosociaux. Mais aujourd'hui, cette enquête n'est pas réglementée. On a beaucoup d’acteurs qui se sont emparés de ce sujet, surtout des cabinets de conseil, qui pratiquent ces enquêtes le plus souvent pour essayer de vendre ensuite des prestations de formation ou du coaching. L’une des limites de cette pratique réside donc dans le fait que celui qui enquête peut avoir un intérêt à aller dans le sens de l'entreprise. Le problème fondamental qu'on peut rencontrer avec ce type de prestations d'enquête, c'est le manque de loyauté, d'indépendance et surtout la partialité qui, alors, serait totalement contestée devant le Conseil de prud'hommes. On a quelques décisions qui commencent déjà à se prononcer sur la validité ou l'opposabilité de ces enquêtes internes. Il y a des avocats qui commencent à s'emparer de ce marché, qui rentre totalement dans leurs attributions et leurs missions puisque c'est une mission de conseil. L'avocat est consulté par une entreprise sur une situation de fait, pour y apporter une qualification juridique et mener une enquête. Ensuite, il va apporter sa compétence, son expertise pour dire si, oui ou non, il y a des faits déviants.
Lorsqu'on a participé à ce colloque, on s’est rendu compte de la spécificité de l'enquête en droit social pratiquée par l'avocat, par rapport à celle pratiquée en matière de compliance. On a alors voulu créer une association pour promouvoir le rôle de l'avocat enquêteur et sa déontologie, par opposition à tous ces cabinets de conseil qui ne présentent aucune garantie en termes d'éthique sur le déroulement de l'enquête. On a aussi souhaité définir des bonnes pratiques par une charte, que les adhérents s'engagent à signer et à appliquer, qui consiste à veiller à ce que la déontologie soit vraiment au cœur de la pratique de l'enquête. Pour nous en assurer, on a eu à cœur de prévoir au sein du bureau la présence permanente d'un représentant, d'une part du barreau de Paris, et c'est le rôle de Véronique Tuffal-Nerson, et d'autre part, de la Conférence de bâtonniers, c'est le rôle de Richard Doudet.
Nous voulons que l’association ait une vocation nationale et que tous les avocats en France se retrouvent dans cette même pratique. Voilà comment est née l'Anaes.
Nathalie Leroy, pouvez-vous nous parler de votre expérience dans le domaine des enquêtes internes et pourquoi vous avez souhaité rejoindre cette association ?
Nathalie Leroy : Pour ma part, je suis devenue avocate enquêtrice en 2018 et j’interviens aux côtés d’une psychologue profiler, après avoir exercé pendant 25 ans en tant qu’avocate en droit du travail. Avec mes confrères, nous avons décidé de fonder l’Anaes parce que nous estimons qu'il y a un vrai besoin au niveau de la profession d’avocat. Aujourd'hui, les textes qui régissent l'enquête (la Loi Sapin 2 en tête) sont extrêmement généraux et visent tout type d'enquête : autant en matière de concurrence, de fraudes financières…, qu’en matière sociale. Et dans le code du travail, il y a peu d’éléments. Pour les avocats, mener l’enquête est une façon de voir autrement notre métier et une discipline en plein essor, parce que cette activité prend une place extrêmement importante, notamment dans les affaires prudhommales. Rappelez-vous : il appartient à la partie plaignante d’apporter des éléments laissant supposer l’existence de faits de harcèlement et ensuite, le cas échéant, à l’employeur de démontrer qu’il n’y a pas de harcèlement. Mais cela n’est pas suffisant. Le juge ne peut pas investiguer, il n’a ni le temps, ni les moyens. Avec l’enquête, le juge dispose d’un outil formidable qui lui est apporté sur un plateau. Encore faut-il que cette enquête soit sérieuse, loyale et impartiale. Le rapport d’enquête est également un outil très puissant en termes de prévention, pour l’entreprise, d’où l’importance d’une enquête bien ficelée. Les avocats ont des compétences certifiées, une déontologie qui est extrêmement rigoureuse et contrôlée.. Il est important que les avocats en droit du travail montent en compétence sur les enquêtes et soient incontournables. Ils savent traiter les dossiers, faire des conclusions, conseiller leurs clients, plaider. Mais ici, l'avocat est dans une posture différente de celle dont il a l’habitude. Il investigue, il va à la rencontre des personnes qu’il interroge. Comment poser des questions en face à face à quelqu’un qui n’est pas notre client et sans parti pris ? Comment ne pas interférer dans les réponses ? Comment être neutre ? Une étude d’une organisation non-gouvernementale américaine a relevé qu’un pourcentage assez significatif de personnes ayant été condamnées à des peines très lourdes ont dit ce que l'interrogateur avait supposément envie d'entendre. Cela veut donc dire que l'entretien est un moment extrêmement délicat, où les gens, peuvent être sous pression, intimidés…. C’est un exemple de sujets que nous devrons traiter à l’Anaes.
L’association sera un lieu d’échange et de brainstorming, avec un socle de valeurs communes sur lesquelles s’engagent les adhérents. Nous voulons que tous les confrères qui adhèrent à l’Anaes puissent s’en prévaloir comme un gage d’excellence.
N A. : Il est fondamental que la déontologie soit au cœur de la pratique de l'enquête. La compétence a été l’une de nos préoccupations parce que plus les avocats sont compétents, plus le rôle de l'avocat sera valorisé. Donc le devoir de compétence, c'est un devoir déontologique, c'est un des principes essentiels. La façon dont on mène l'entretien questionne les relations que nous devons entretenir avec la partie adverse. Le devoir de délicatesse, de modération, ne jamais essayer d'intimider ou de menacer l'interlocuteur, tout cela est inscrit à l'article 8 du règlement intérieur de la profession d’avocat. Lorsque nous avons à faire à une personne qui n'est pas notre client, notre obligation de l'informer qu'elle peut se faire assister par un avocat est un devoir déontologique. L’impartialité est dictée par le devoir d’indépendance. C’est grâce à cette obligation que nous pouvons faciliter la libération de la parole en montrant à celui qu'on interroge, qu'il soit mis en cause, témoin ou victime, qu'on n'est pas le bras armé de l'employeur. Ce sont là encore les règles dictées par l’interdiction du conflit d’intérêt prévu par notre règlement intérieur. Pour prémunir tout risque d’ailleurs, nous avons veillé, dans notre charte de bonnes pratiques , à ce que l’avocat enquêteur se fasse payer avant la rédaction du rapport afin d’éviter les situations de pression sur l’avocat enquêteur. C’est encore une illustration de l’indépendance de l’avocat enquêteur qui n’est pas l’avocat de l’entreprise et ne le sera pas davantage après l’enquête.
Les avocats qui vont mener les enquêtes ne sont donc pas ceux du donneur d'ordres, de l'entreprise ?
N. L. : Ce point-là n'est pas complètement figé sur le plan déontologique, mais c'est quelque chose sur lequel l'Anaes s'engage. Il nous semble normal que les personnes se posent la question de la neutralité lorsque l’avocat qui enquête est celui qui conseille habituellement l’entreprise. Nous souhaitons absolument que ceux qui vont s'engager dans l’association ne travaillent pas pour un client habituel sur une enquête interne, ni sur les suites de l'enquête, ce qui évitera la question de l’indépendance.
Dans quels cas de figure un avocat est-il amené à mener une enquête interne ?
N A. : L’Anaes ne traite que des problématiques de droit du travail, pas celles de compliance, fraude, délits financiers, etc. En droit du travail, ce qui fonde l'obligation pour l'employeur de déclencher cette enquête, et de l'organiser, c'est son obligation de sécurité. L'employeur a l'obligation de garantir la sécurité de ses salariés, la santé au travail. Pour cela, il doit prévenir les risques psychosociaux, puis évidemment, y remédier. Et c’est dans le cadre de son devoir de prévention que l'employeur, dès lors qu'il est alerté d’un risque de santé au travail, soit par harcèlement, risques psychosociaux, soit par un management déviant, par un salarié, un supérieur hiérarchique, etc. qu’il a l'obligation de déclencher cette enquête.
N. L. : L’avocat peut mener toutes les enquêtes internes de l’entreprise. Le cas le plus général aujourd'hui est celui du lanceur d'alerte. C'est-à-dire qu’une personne utilise le système d'alerte de l'entreprise pour dénoncer des faits de harcèlement moral ou sexuel ou répond aux conditions fixées par la Loi pour être considéré comme lanceur d’alerte. De plus en plus, les enquêtes correspondent à cette situation. . Mais il y a par exemple les alertes émises par les représentants du personnel, sur lesquelles l’employeur peut être amené à enquêter de manière conjointe avec des membres du CSE. L’avocat peut enquêter par délégation. Rappelons que ces affaires sont parfois très complexes. Elles mettent en scène des acteurs très différents, c’est le cas du harcèlement entre collègues ou entre supérieur et subordonné, qu’il soit descendant ou ascendant ou encore de la direction à l’égard d’un représentant du personnel ou inversement. . Les personnes entendues ont bien plus confiance lorsque vous offrez des garanties déontologiques, que vous avez des compétences professionnelles et que vous êtes indépendant. L’avocat offre ces garanties. Vous aurez compris que depuis 2016, nous essuyons les plinthes dans notre domaine et qu’il reste de nombreuses questions méthodologiques et déontologiques de fond. Nous apprenons, travaillons avec les confrères sur les bonnes pratiques, nous construisons cette nouvelle forme d’exercice de notre métier et cela est passionnant. À l’Anaes, nous sommes convaincus que les avocats offrent des garanties que n’ont pas les autres intervenants. Cela fait la différence, elle est énorme. Nous qui pratiquons les enquêtes depuis quelques années, nous voulons faire bénéficier les confrères qui s’y intéressent, de notre expérience et aussi avancer avec eux et collectivement pour améliorer encore les process.
Que se passe-t-il si une personne est accusée injustement ou si, par exemple, l'enquête détermine que l'accusateur est finalement l’harceleur ?
N A. : C'est tout l'intérêt de l'enquête. Si elle a été menée de manière loyale, impartiale, avec un rapport qui raisonne et qui explique comment il en est arrivé à ces conclusions, à ce moment-là, en effet, tout peut arriver et il arrive que la présumée victime soit en réalité celle qui est à l'origine des pratiques déviantes. En général, ces personnes-là instrumentalisent les enquêteurs mais aussi beaucoup le CSE, les représentants du personnel. On voit très régulièrement une instrumentalisation assez globale de tous les acteurs de l'entreprise.
D'où l'importance cruciale pour un employeur d'externaliser la pratique de l'enquête, parce que lorsqu'on a un CSE qui est instrumentalisé, la direction des ressources humaines, si elle mène l'enquête elle-même, n'osera pas aller contre le CSE. Elle va s'imaginer qu’en mettant en lumière le fait que le CSE se soit laissé instrumentaliser, elle va détériorer ses relations sur tous les autres sujets de l'entreprise. Dans une enquête interne où tous les acteurs sont instrumentalisés, les salariés qui sont entendus se disent que le harceleur est protégé par la direction ou par le CSE et donc qu’il ne se passera rien sur sa plainte. Non seulement cette absence de suite entretien un sentiment d’impunité chez le harceleur ou le manager déviant mais en outre, cela alimente les rancœurs et les frustrations au sein du personnel. Lorsque les RH se rendent compte alors qu’il convient d’externaliser l’enquête, très souvent, lorsque l’avocat enquêteur arrive, c'est malheureusement le feu dans l’entreprise et le travail à faire pour essayer de résoudre la situation est énorme. L’externalisation est donc à la fois nécessaire pour gérer la difficulté alertée par la victime présumée mais plus encore, pour éviter un phénomène d’amplification aux autres services. L’externalisation confère aux directions une grande crédibilité dans leur aptitude à traiter les RPS, inciter au dialogue et protéger leurs salariés. Tout le monde en sort gagnant.
N. L. Je vais vous donner un exemple : j’ai dû réaliser une enquête, après que le DRH groupe a tenté de mener sa propre enquête, puis une médiation : un fiasco. L’histoire : Une DAF se disait victime de son patron d’unité. Il semblait qu’il existait une profonde mésentente avec une tendance du patron à mener la vie dure à sa DAF. Au final, il est ressorti que la DAF était en réalité la harceleuse et qu’elle avait tissé très finement sa toile autour d’un patron, qui “tombait à chaque fois dans le panneau”. Moralité : une enquête ne s’improvise pas, même avec la meilleure volonté du monde. Elle requiert compétence, indépendance et neutralité. Nous ne le dirons jamais assez. Seul l’avocat offre ces garanties.
La charte de l’association est-elle déjà rédigée ? En tant que membre du bureau du CNB, comment faites-vous pour que ces principes déontologiques soient respectés par toutes les instances, le CNB, la Conférence des Bâtonniers, l'Ordre des avocats de Paris etc. ?
N. A. : Tout est rédigé. L’association est créée et on attend incessamment notre site Internet. Désormais, quand nos adhérents s'engageront, ils devront signer la charte.
Au sein du bureau de l'association de l'Anaes, nous avons prévu une personne qui fera le lien avec le barreau de Paris, qui représente quasiment la moitié des avocats de France, et pour les avocats de province et tous les ordres, Richard Doudet, qui est vice-président de l’association, fait le lien avec la Conférence des bâtonniers ; il va se charger de former les avocats au sein des différents ordres via l’Anaes. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les cabinets d'avocats sont eux-mêmes des entreprises. Pendant un an, j'ai été membre du groupe de travail de lutte contre le harcèlement et la discrimination au sein du CNB, qui a abouti à un colloque sur la façon de prévenir tous ces risques au sein des cabinets d'avocats. Et je pense que les cabinets d'avocats, lorsque des faits identiques sont signalés, devraient pratiquer des enquêtes internes au sein de leurs cabinets pour essayer de trouver les solutions les plus appropriées.
Nous aussi, nous devons faire ce travail d'introspection pour le bien-être de nos collaborateurs.