Il revient également sur l’amendement qu’il a déposé pour faire reconnaître le protection des avis des juristes d’entreprise, voté par le Sénat et récemment modifié par l’Assemblée nationale.
Affiches Parisiennes : Vous êtes président de l'UDI, président du groupe centriste au Sénat, sénateur des Hauts-de-Seine. Que pensez-vous du récent remaniement ministériel ?
Hervé Marseille : J’ai un avis mesuré puisqu’il est intervenu à la fin de la session parlementaire. Il sanctionne l’échec d'un certain nombre de ministres. Si le ministre de l'Éducation nationale, le ministre de la Ville et Madame Schiappa, sont remplacés, c’est parce qu'à l'évidence, le président de la République et la Première ministre considéraient qu'ils n'avaient pas rempli leurs missions ou qu’elles avaient été remplies dans des conditions qui méritaient d'être sanctionnées. C'est donc un réajustement.
Sur le plan politique, à partir du moment où on ne change pas la Première ministre, ce n'est qu'un remaniement, il n'y a pas de modification de la ligne politique du Gouvernement. Enfin, j'observe quand même que le Sénat est toujours tenu à l'écart de la composition du Gouvernement. Aucun sénateur n’a été sollicité pour entrer au Gouvernement …
Aujourd'hui, comment analysez-vous la politique gouvernementale ? Il y a eu des batailles très dures autour des retraites. Pensez-vous qu'on aborde une nouvelle étape pour le quinquennat ?
Je pense qu'après les dernières élections législatives qui ont entraîné une absence de majorité à l'Assemblée nationale, on pouvait rentrer dans un parlementarisme plus structuré, une période où le Parlement aurait repris force et vigueur face à l’exécutif. Finalement, j'observe que ce dernier se conduit comme s'il avait toujours une majorité forte et large à l'Assemblée nationale. Il n'y a donc pas tellement d’évolution. On l'a vu avec la réforme des retraites.
Je pense que l'on pourrait avoir un Parlement qui travaille davantage en amont avec l'exécutif pour faire adopter des lois qui soient utiles pour le pays.
C'est votre souhait aujourd'hui ? Vous n'êtes pas suffisamment sollicités sur les sujets importants ?
Non, nous ne sommes pas sollicités. Il n'y a pas suffisamment de dialogue avec l'exécutif et je pense que cela ne peut pas durer. Le problème, c'est de savoir ce que l'on fait les uns et les autres pour le pays. Les textes que nous votons ne constituent pas une fin en soi. Nous le faisons pour les Français : il faut une politique utile pour le pays. Nous sommes dans une situation grave. Il y a 3 000 milliards de dettes. Nous avons 145 milliards de déficit annuel. Il y a des problèmes de pouvoir d'achat, d'inflation, d'augmentation des taux d'intérêts qui sont considérables. Il y a la guerre en Ukraine, il y a la guerre commerciale avec les États-Unis et avec la Chine. Tout cela appelle des mesures fortes. Je trouve donc que nous n’avons pas une vie politique suffisamment structurée pour répondre à tous ces enjeux. Nous n’avons pas les moyens d’être divisés !
Nous venons d’affronter des violences urbaines. Vous êtes élu local, un ancien maire, vous connaissez donc très bien les problématiques de nos villes, de nos banlieues. Comment analysez-vous cette situation ?
Il y a quelque chose d'irrationnel dans tout ça. Là encore, c'est le résultat, non pas d'une politique conjoncturelle, mais d'une ligne politique depuis des années. La faillite de la politique du logement et de celle de la ville suivies caractérisent les émeutes que nous avons constatées. On s'aperçoit que tous ces milliards engloutis l’ont finalement été sans politique structurée. Mon ami Jean-Louis Borloo avait établi un plan, il avait fait des préconisations. Je crois que c'est un de ceux qui a le plus réfléchi et travaillé sur le problème de la ville et de la banlieue. Je regrette qu'on ne l'ait pas suffisamment écouté. Aujourd'hui, ce qui arrive, c'est le résultat d'une absence de politique durable en direction des villes et des banlieues.
Aujourd'hui, que faut-il faire pour rectifier ce problème et trouver des solutions ? Faut-il s'inspirer des préconisations de Jean-Louis Borloo ? Trouver d'autres choses ?
Il faut déjà poser un diagnostic et faire une analyse. Le Parlement n'a pas été saisi et ce n'est pas en donnant le permis de conduire à 17 ans qu'on va résoudre les problèmes ! Ce n'est pas non plus en rectifiant, ponctuellement, les procédures d’appels d'offres pour reconstruire ce qui a été détruit. Je pense qu'il serait important qu'il y ait des débats au Parlement sur le sujet, qu'un vrai dialogue s’instaure avec le Gouvernement, avec les élus locaux – ce sont eux qui sont confrontés aux troubles – et ensuite qu'on adapte les moyens. Presque un mois après ces événements, je regrette qu’on n'ait pas eu la moindre réflexion sur ce sujet.
Il y a eu quelques annonces d’Élisabeth Borne et du garde des Sceaux, autour de la sécurité routière. Approuvez-vous ces mesures ?
C'est bien, le code de la route, c'est formidable, mais je ne suis pas sûr que ce soit une réponse appropriée aux problèmes du quotidien des Français. Les problèmes du quotidien, c'est le pouvoir d'achat et l'inflation, c'est le logement, c'est la santé. C’est aussi l'éducation, à la croisée des chemins en matière d'intégration. Sur tous ces sujets, il faut des réponses et on n'en a pas. Concernant le logement, voilà plus d'un an qu'on sonne l'alarme en disant “Il y a un problème!” Il faut à tout prix une volonté politique. Il faut que les gens puissent se loger, à un coût convenable. Et puis, la construction, ça crée de l'emploi, des taxes. La santé, on a fait le Grenelle mais, pour l'instant, dans les hôpitaux ça ne marche toujours pas. L'éducation nationale a changé de ministre. Cela prouve bien qu’il y a un vrai sujet.
Il faut que l'éducation nationale, l'enseignement public comme on l’appelait, permette l'intégration et transmette à la fois des connaissances, mais aussi des valeurs à nos enfants, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. La dépendance, qui constitue un important dossier dans un pays qui vieillit, n’est même pas évoquée. Il n'y a pas le début d'une once de réflexion. Sur tous ces sujets il y a une très forte attente et très peu de réponses.
Concernant la stratégie migratoire, votre groupe a déposé une proposition de loi singulière, qui vous différencie des Républicains sur ce sujet. Pouvez-vous nous dire en quoi ?
Dans ce que propose le ministre de l'Intérieur, il y a beaucoup de choses sur lesquelles nous pouvons être d'accord. Ce sont des améliorations techniques, administratives et tout ça va dans le bon sens. Il y a un point sur lequel nous sommes d'accord avec le Gouvernement, mais pas avec les Républicains, c'est la nécessité de régulariser les gens qui travaillent dans les secteurs en tension. Vous avez aujourd'hui beaucoup d'étrangers qui travaillent dans des conditions irrégulières, dans les restaurants, sur les chantiers. Pourquoi ? Parce qu'il y a un besoin et que les chefs d’entreprises ne trouvent pas la main d'œuvre nécessaire. Il y a donc des gens qui acceptent de travailler en situation irrégulière. Il faut trouver une solution. Nous proposons de créer un titre de séjour “métiers en tension” en régularisant tous ceux qui travaillent depuis au moins cinq ans dans des conditions irrégulières, avec un moratoire vis à vis des employeurs. Et puis, nous incitons le patronat et les syndicats à dialoguer pour revaloriser les conventions collectives, pour que ces métiers retrouvent de l’attrait.
Nos amis républicains considèrent qu'il ne faut pas régulariser. Et nous, nous considérons qu'il faut faire quelque chose parce que c'est une réalité. Il suffit d'aller dans les cuisines des restaurants et sur beaucoup de chantiers, surtout avec la préparation des Jeux olympiques. Il y a aussi le cas des mineurs non accompagnés ainsi que des difficultés concernant l'Outre-Mer. On voit bien qu'en Guyane, à la frontière brésilienne, à Mayotte, il y a d'énormes problèmes. Donc, il faut revoir les conditions d'accès à la nationalité.
Un point sur lequel on peut être d'accord avec les Républicains pour retoucher la Constitution, c'est d’ouvrir la possibilité d'examiner les demandes d'asile dans les pays d’origine, en laissant statuer les ambassades et les consulats des pays où se situe la demande. Mais il faut changer la Constitution ! Car la demande d'asile fait partie des droits de l'Homme et du préambule de la Constitution ; une jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1993 laisse supposer que si on ne retouche pas la Constitution, nous risquons de rentrer dans une zone d'inconstitutionnalité. Ce sont des améliorations qu'on peut imaginer, mais il y en a beaucoup d'autres.
Dernièrement, vous avez déposé un amendement qui a reçu le soutien du Gouvernement, qui a été adopté par le Sénat et légèrement modifié après par l'Assemblée nationale. Il concerne la confidentialité des avis juridiques faits par un juriste d'entreprise. Pourquoi avez-vous décidé de porter cet amendement ?
Nous avons porté cet amendement parce que c'est une demande qui existe depuis plusieurs décennies, qui n'avait pas été prise en considération et qui fragilisait nos entreprises par rapport aux pays anglo-saxons, en particulier les États-Unis. Beaucoup d'entreprises ont implanté leurs services juridiques en Angleterre pour protéger les avis juridiques.
Nous étions très exposés par rapport au système judiciaire américain, s'agissant du “legal privilege”. Comme nous n'étions pas protégés légalement, nous risquions systématiquement de nous faire piller des secrets commerciaux ou d’être fragilisés dans les procédures judiciaires.
Il fallait agir pour protéger nos entreprises et combler ce retard préjudiciable à la souveraineté économique française. Ce vote est historique et constitue un grand progrès pour l’Etat de droit. Je suis heureux qu’on ait pu aboutir à ce résultat.
Juristes d’entreprise : leur contribution à l’intérêt général reconnue
L’Assemblée nationale vote aussi la confidentialité des avis des juristes d’entreprise
Nous avons une guerre en Ukraine qui nous tire vers le bas. L'Europe est en souffrance. Comment peut-on sortir de cette situation ? La France tient-elle son rôle de leader, à côté de l'Allemagne, comme un moteur de l'Union européenne ?
Je pense que la situation ukrainienne a réveillé l'Otan et, en partie, l'Europe par ses conséquences énergétiques et politiques. Nous nous apercevons que l'Europe doit être confortée et que son fonctionnement doit être amélioré. Il faut travailler davantage avec nos amis italiens au sein de l'Europe. Il faut aussi relancer l'Union pour la Méditerranée. On a beaucoup de difficultés avec le Maghreb, avec les pays de la Méditerranée, notamment sur les problèmes migratoires, mais aussi sur les problèmes commerciaux. Le président de la République a essayé de relancer des liens avec l'Algérie en pure perte. La première conséquence a été de se fâcher avec les Marocains qui sont historiquement des amis très proches et fidèles. On voit que les Italiens et l'Europe passent des accords avec la Tunisie sur les problèmes migratoires. La France disparaît peu à peu de l’Afrique sub-saharienne et de l’Afrique du Nord. Nous avons été sortis du Mali, nous avons des problèmes avec le Burkina Faso… On ne peut pas dire que nous soyons en très bonne position.
Sur les problèmes migratoires, je crois que l’important est d'accompagner ce qu'on peut faire en France par un cadre européen. Regardez ce qui s'est passé avec le l’homme qui a poignardé des enfants à Annecy. Il avait déposé des demandes dans des pays européens. Tout cela manque de cohérence. Il y a un problème de fonctionnement européen. On ne peut pas continuer à gérer l'Europe à 27 comme on l'a gérée à 12. Il faut donc régler les problèmes de gouvernance européenne et s'investir dans un certain nombre de politiques indispensables.
La guerre en Ukraine a révélé l’absence de politique de défense européenne.
On voit qu'il y a des problèmes migratoires, des problèmes sociaux, des problèmes commerciaux… Il faut apporter des réponses européennes à tous ces grands sujets mondiaux. L'intelligence artificielle est-elle un sujet que nous pouvons aborder seul ? Il mérite des investissements extrêmement considérables et il faut une force européenne. Les Français peuvent apporter une contribution intellectuelle et scientifique importante, mais il faut s'unir et avoir une forte volonté européenne. Regardez les investissements énormes que font les Américains, les investissements que font les Chinois et d'autres encore. Nous ne pouvons rester sans réagir !
La situation économique, avec une inflation en passe d'être maîtrisée, est aussi un sujet…
Nous sommes surtout pénalisés par notre endettement. C'est une perte de souveraineté qui peut occasionner de graves conséquences, surtout avec l'augmentation des taux d'intérêts. Nous avons échappé à une dégradation de notre note par les grandes agences internationales, mais c'est un répit. Il faut pouvoir confirmer. Notre endettement est trop important et cela dure depuis des années. Il n'y a pas eu de réformes structurelles suffisamment fortes qui ont été faites. Je pense que maintenant, il faut absolument prendre le taureau par les cornes pour nous désendetter. Il est impossible de continuer dans cette voie.
Les élections sénatoriales arrivent. Vous êtes à nouveau candidat. Que souhaitez-vous dire aux grands électeurs, notamment aux élus locaux ?
Je souhaite leur dire, “faites confiance au Sénat, parce qu’il représente aujourd’hui un pôle de stabilité au sein du Parlement”. C'est lui qui permet à nos institutions de fonctionner convenablement. Je leur dirais que c'est d'autant plus nécessaire que le Sénat les connaît. Nous savons donc, pour être nous-mêmes des élus locaux, ce qu'est l'identité des territoires. Nous comprenons les situations des collectivités, nous les analysons. Nous savons ce que les élus peuvent ressentir, y compris à titre personnel, puisque nous avons observé que beaucoup d'entre eux étaient attaqués ou insultés. Donc, pour partager cette expérience, pour partager leur vécu, pour partager leurs sentiments et leurs préoccupations, c'est le Sénat qui est le mieux placé pour apporter des améliorations et mettre en évidence les besoins des collectivités, que ça soit pour la gestion, sur le plan budgétaire, sur le plan institutionnel, ou encore sur le statut des élus. Avec les sénateurs, c'est un vécu partagé. Il faut que les élus choisissent des sénateurs qui ont de l'expérience, qui ont montré leur capacité à comprendre les enjeux du terrain. Je suis sûr qu'ils feront le bon choix !