S'annonçant comme “un rendez-vous incontournable pour tous les acteurs de la profession juridique”, l’IBA 2023 a réuni au Palais des Congrès de Paris près de 6 000 avocats travaillant dans pas moins de 120 juridictions à travers le monde pour discuter de leurs préoccupations et promouvoir l’accès au droit.
Cette première édition présidée par une femme, l’avocate d’affaires espagnole Almudena Arpón de Mendívil, avait pour objectif ambitieux de fédérer et mettre en évidence l'apport crucial de la profession juridique à la société, notamment via la défense de l’État de droit.
L’État de droit affaibli
L’accès à un système judiciaire et la bonne application des lois et du droit international sont des éléments essentiels d’une paix durable et de la lutte contre les violations flagrantes des droits de l’Homme. Pourtant, de l’Ukraine à la Syrie, du Soudan du Sud au Yémen et au Myanmar, ainsi que dans de nombreuses régions du monde où de tels abus se produisent, les voies menant à la justice semblent souvent hors de portée. Un constat qui préoccupe les avocats.
“Les discussions durant cette conférence seront un levier majeur pour renforcer l'État de droit à l'échelle mondiale, valeur essentielle de notre profession et de l'IBA. Paris, réputée comme étant l'épicentre des Lumières, avec son riche héritage juridique, constitue l'emplacement idéal pour la Conférence annuelle de cette année”, annonçait fièrement Almudena Arpón de Mendívil, présidente de l’IBA, en présentant le congrès IBA 2023.
“Le monde connaît de graves crises où sont bafoués les droits de l’Homme, et partout, en Europe comme ailleurs, est attaquée la conception même d’un État de droit établi sur le respect des droits de l’opposition et des minorités, l’indépendance de la justice et des médias, et les garanties attachées au pluralisme et à la liberté d’expression”, a expliqué le Président de la République Emmanuel Macron, en inaugurant à distance l’événement (via vidéo).
Michel Barnier, le célèbre négociateur du Brexit a, quant à lui, ouvert le congrès en personne avec un discours majoritairement axé sur l’importance de la défense de la démocratie, de la paix et de l’Etat de droit à travers le monde, notamment en faisant alliance comme l’Union européenne.
En introduisant les débats de la dernière journée du congrès dédiés au “Rule of law symposium” (colloque sur l'État de droit), la professeure de droit américaine Alexandra Meise, membre du Département de la sécurité nationale et de la stratégie à Washington, a soulevé la problématique de l'érosion de la confiance dans l'État de droit. Face à ce constat déplorable, l’intervenante s’est interrogée sur ce que peut faire la communauté des juristes pour améliorer cette situation et commentutiliser les nouvelles technologies pour faire primer la loi et les droits fondamentaux à travers le monde.
La guerre en Ukraine en témoigne
Au moment où Le Monde titrait "Les Ukrainiens regrettent que leur guerre passe en second plan", une grande partie des débats de l'IBA 2023 a pourtant tourné autour de ce conflit armé.
De nombreux speakers célèbres sont intervenus au congrès, à l’instar du philosophe Bernard Henri-Levy qui a donné un discours au déjeuner sur le conflit ukrainien, ou d’Andriy Kostin, le procureur général d’Ukraine ayant également participé aux débats.
Lors du “Rule of law symposium”, le directeur exécutif de l’IBA Mark Ellis a pris l'exemple des cours criminelles en Ukraine pour montrer à quel point la communauté internationale des juristes et le droit international ont de l'importance pour faire primer la démocratie et les libertés fondamentales. Il a également souligné que l'IBA s'engage à appliquer les principes de l'ONU et à protéger les droits partout.
L’avocat a souligné le besoin d'appliquer les principes juridiques et démocratiques universels dans tous les contextes, notamment lors des procès des opposants russes en Ukraine, et rappelé que ce ne sont pas les verdicts ni les sanctions qui importent mais bien le déroulé des procès et la garantie de leur impartialité.
L’avocate ukrainienne Anna Ogrenchuk a partagé son point de vue sur le conflit armé que subit son pays pendant cette “période Orwellienne” où tout est sans-dessus-dessous et très dystopique. Au cœur de cette guerre, la membre du barreau de Kiev prend son rôle très au sérieux pour rétablir l'ordre juridique international et punir les divers crimes de guerre russes : assassinats, cyber criminalité, crimes environnementaux... Quand l'État de droit est menacé, les avocats sont les “first responders”.
L’avocate a également critiqué l'efficacité du legal counsel de l'ONU qui “n'a pas fait grand-chose depuis le début du conflit armé en Ukraine et est entravé par la Russie”. Elle appelle ainsi à réformer certaines institutions juridiques et certains principes fondamentaux comme le droit à un procès équitable et l'application extraterritoriale des sanctions. Elle souhaite “casser la chaîne d'impunité” des pays comme la Russie grâce au droit international et à l'implication des juristes.
Le procureur américain Yevgeny Vindman a pu, quant à lui, partager dans une intervention percutante son expérience militaire et diplomatique en Ukraine et rappeler l'importance de la responsabilité des acteurs (“the web of accountability”) et de mettre les moyens dans les investigations.
L'application complexe des sanctions internationales
Un autre panel du “Rule of law symposium” a discuté des sanctions. En animant les débats, le grand pénaliste anglais Steven Kay KC a abordé la problématique de la coordination entre les différentes sanctions internationales et nationales.
Pour son confrère Alessandro Di Mario, travaillant actuellement pour la Commission européenne, les sanctions européennes sont très importantes mais ne sont pas punitives. Elles sont là pour pointer du doigt et essayer de faire changer les choses mais ne sont pas vraiment concrètes. Lord David Neuberger a abondé dans ce sens en estimant que c'est “coercif mais pas punitif” dans le sens juridique strict.
Mohammed Mensli a partagé son expérience de juriste en Lybie, pays ayant été sanctionné sous l'ère Kadhafi. “Un sujet très important qui impacte encore la Lybie au quotidien et coûte toujours au pays plus de 2 milliards de dollars par an”. L'Etat a mis en place un fonds spécifique pour payer ces sanctions et s'assurer que la démocratie prime et qu'il ne soit pas abondé par de l'argent sale ou issu du terrorisme.
Enfin, l'arbitre international James E. Castello a expliqué que les régulations sont encore très vagues sur la façon d'exécuter concrètement une sanction internationale. Il y a souvent des problèmes bancaires pour effectuer les paiements et peu de cabinets d'avocats souhaitent endosser de tels risques financiers.