AccueilDroitActualité du droitL'avenir de la preuve électronique dans le procès

L'avenir de la preuve électronique dans le procès

Actuellement, selon une étude menée par l’Union européenne, 85% des enquêtes pénales font intervenir des données numériques.
Solène Allié et Laure Mansuy, étudiantes en dernière année à l’EDHEC Business School, LLM Law & Tax Management.
© edhec - Solène Allié et Laure Mansuy, étudiantes en dernière année à l’EDHEC Business School, LLM Law & Tax Management.

DroitActualité du droit Publié le , Solène Allié et Laure Mansuy, étudiantes en dernière année à l’EDHEC Business School, LLM Law & Tax Management

Le commissaire européen pour la migration, les affaires intérieures et la citoyenneté, Dimitri Avramopoulos, a déclaré relativement aux preuves électroniques utiles pour lutter contre la criminalité : « […] La criminalité et le terrorisme ne s'arrêtent pas aux frontières de l'Europe. Les preuves nécessaires pour enquêter sur ces crimes sont d'autant plus difficiles à établir dans le cadre d'un pays ou d'une juridiction »[1].

Actuellement, selon une étude menée par l’Union européenne, 85% des enquêtes pénales font intervenir des données numériques. Les autorités judiciaires font face à de grandes difficultés pour accéder aux éléments de preuve électronique car ces derniers sont la plupart du temps stockés dans des pays différents de celui où l’infraction est commise. Ainsi, dans plus de la moitié des enquêtes pénales, une demande transfrontalière d’obtention de preuve est réalisée.

Par conséquent, depuis plusieurs années maintenant, l’Union européenne tente de résoudre ce problème et d’améliorer la coopération entre les États membres vis-à-vis de l’accès à la preuve électronique.

Rappel sur le Droit en vigueur selon le caractère civil ou pénal du litige et état de l’évolution des textes européens

L’administration de la preuve est cruciale dans le cadre d’un litige, qu’il soit civil ou pénal.C’est sur les preuves administrées par l’une et l’autre des parties que va en effet reposer l’avis du juge, et donc l’issue du procès. Or les règles en matière d’administration de la preuve sont quelque peu différentes dans le procès civil et pénal.

La preuve en matière civile et pénale

La preuve en matière civile est régie par les articles 1353 à 1386 du Code civil.

Il appartient à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver. Il en va de même pour celui qui s’en prétend libéré.

Les principaux modes de preuve inscrits dans le Code civil et le Code de procédure civile sont la preuve littérale, la preuve testimoniale, la preuve par présomption, la preuve par aveu et la preuve par expertise.Le juge est libre d'apprécier les preuves qui lui sont soumises par les parties au procès. Il reste toutefois tenu du respect des règles de droit et des principes généraux du droit.

Parmi ces principes, celui du respect du contradictoire semble être le plus fondamental. Il permet de garantir l'équité et la transparence du processus de recherche de la vérité. Il semble clair que si une partie est autorisée à présenter ses preuves sans que l'autre partie ait la possibilité de les contester, cela peut conduire à une décision injuste et biaisée.

Le principe du contradictoire implique que chaque partie doit être informée des preuves présentées par l'autre partie et avoir la possibilité de les contester en présentant ses propres preuves et en les critiquant. Cela garantit que toutes les preuves soient examinées de manière équitable et que les erreurs ou les omissions soient détectées et corrigées.

Lorsqu'une partie invoque un document en justice, elle doit en produire l'original ou une copie certifiée conforme. En l'absence de document original, une preuve testimoniale ou une expertise peuvent être utilisées pour prouver l'existence et le contenu du document.

En cas de doute sur la réalité des faits allégués, le juge peut ordonner une mesure d'instruction. Il peut notamment ordonner une expertise ou une enquête. Cette mesure d'instruction est destinée à éclairer le juge sur les faits litigieux.

Enfin, le juge peut refuser de prendre en compte une preuve qui est obtenue de manière illicite. Par exemple, une preuve obtenue par la violation du secret des correspondances ou par la corruption est considérée comme illicite et ne peut pas être prise en compte par le juge.

© Edhec - Solène Allié et Laure Mansuy, étudiantes en dernière année à l’EDHEC Business School, LLM Law & Tax Management

La preuve en matière pénale

Dans le cadre d'un procès pénal, la preuve tient en l'ensemble des éléments de faits qui permettent d'établir la culpabilité ou l'innocence d'une personne suspectée d’avoir commis une infraction, un délit ou un crime. La preuve est essentielle pour assurer une justice équitable et garantir que les coupables soient punis, tout en évitant que les innocents soient condamnés à tort.

L’article 427 du Code de procédure pénale énonce que « les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve » à moins que la loi n'en dispose autrement. Le principe de légalité suppose en effet le respect de la loyauté dans l'administration de la preuve ainsi que l'absence d'atteinte à la dignité de la personne à laquelle elle se réfère.

La preuve peut donc prendre de nombreuses formes, telles que des témoignages, des documents, des enregistrements audio ou vidéo, des expertises scientifiques ... Chacune de ces formes de preuve doit être examinée par le juge avec soin pour déterminer sa pertinence et sa fiabilité.

La règle fondamentale en droit pénal reste le principe de la présomption d'innocence protégé par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, l'article préliminaire du Code de procédure pénale, l'article 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, et l'article 9-1 du Code civil, et même si l’exposition médiatique de certaines affaires peut laisser penser que ce principe est bafoué.

Le principe de présomption d’innocence impose aux juges que le prévenu ou l'accusé reste présumé innocent jusqu'à preuve du contraire. La charge de la preuve incombe à l'accusation, qui doit présenter des éléments de preuve suffisants pour convaincre le tribunal de la culpabilité du prévenu ou de l'accusé. Les preuves qui seraient trompeuses ou non fiables, telles que des faux témoignages ou des expertises scientifiques contestables, doivent être exclues du procès par le juge.

Il est important de noter que la preuve peut être contestée par les avocats de la défense, qui peuvent soulever des objections et contester la validité ou la pertinence de la preuve présentée par l'accusation. Ils peuvent également présenter leurs propres preuves pour étayer leur thèse.

Le recours aux preuves électroniques

On constate, tant dans le procès civil que dans le procès pénal, une démocratisation des preuves électroniques définies par le Conseil des ministres de l’Union européenne comme toutes preuves qui découlent de données contenues ou produites par un dispositif dont le fonctionnement dépend d’un logiciel ou de données stockées ou transmises sur un système ou un réseau informatique.

Les preuves électroniques peuvent prendre de nombreuses formes différentes, telles que des courriels, des messages instantanés, des fichiers multimédias, des documents électroniques, des photos, des vidéos, des enregistrements journalistiques, des données de transaction...Elles sont de plus en plus courantes dans les procédures judiciaires. A l’ère du digital, la plupart des informations sont stockées et échangées sous forme numérique. Les preuves électroniques peuvent être utilisées pour prouver l'existence ou la provenance d'une information, pour établir une chronologie ou une séquence d'événements, pour confirmer l'authenticité ou l'intégrité d'un document ou d'un fichier.

Cependant, les preuves électroniques peuvent être porteuses de risque car elles peuvent être plus ou moins facilement altérées, supprimées ou falsifiées. Par conséquent, il est souvent nécessaire de recourir à des techniques spéciales pour garantir l'authenticité et l'intégrité des preuves électroniques, telles que l'utilisation de scellements électroniques, d'empreintes numériques, de signatures électroniques ou de témoins experts.

L’évolution du droit européen en matière de preuves électroniques

Il existe d’ores et déjà un règlement européen en date du 28 mai 2001 visant à faciliter la coopération entre les instances judiciaires des différents États membres de l’Union européenne (Cons. UE, règl. (CE) n° 1206/2001, 28 mai 2001) dans le cadre de l’obtention de preuves dans les procès civil et commercial.

En avril 2018[2], la Commission européenne a présenté un ensemble de propositions législatives relatives aux preuves électroniques, avec notamment pour objectif de permettre aux autorités judiciaires des États membres de demander un accès direct aux preuves électroniques possédées par tout fournisseur de services opérant au sein de l’Union européenne et établi ou représenté dans un autre État membre. Par conséquent, l’intervention des autorités de l’État membre ne serait plus nécessaire, ce qui réduirait grandement les délais d’obtention de la preuve et permettrait une accélération de l’enquête pénale.

Ce train de dispositions se décomposerait en deux éléments :

  • un règlement relatif aux injonctions européennes de production et de conservation de la preuve ;
  • une directive relative aux représentants légaux : les fournisseurs de services non établis au sein de l’Union européenne mais y offrant des services devront désigner un représentant légal qui devra respecter et exécuter les injonctions prévues au règlement.

Concernant le règlement, celui-ci comporterait deux types d’injonction :

  • de production : les autorités judiciaires d’un État membre pourraient demander l’accès aux preuves à un fournisseur de services établi ou représenté dans un autre État membre ;
  • de conservation : les fournisseurs ne pourraient pas détruire les preuves alors qu’une injonction de production est en cours.

Le 4 novembre 2020, le Conseil de l’Union européenne s’est penché sur la réécriture de deux règlements européens portant respectivement sur la preuve électronique et la notification des actes juridiques par voie numérique[3].

Par ailleurs, le 17 novembre 2021, un protocole additionnel à la Convention de Budapest relative à la cybercriminalité a été adopté par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui renforce notamment l’entraide judiciaire en la matière[4].

Enfin, le 25 janvier 2023[5], le Conseil de l’Union européenne a annoncé son accord avec le Parlement européen pour instaurer de nouvelles règles relatives à l’accès transfrontalier aux preuves électroniques. Le règlement reprendra l’idée des injonctions de production et de conservation évoquées précédemment, qui peuvent concerner toutes les catégories de données. Cependant, certaines données liées au trafic et au contenu ne peuvent être demandées que pour certaines infractions. Tout fournisseur de services aura dix jours pour répondre à une injonction de production, sinon il risque des pénalités financières importantes.

La directive liée à la désignation d’un représentant légal est reprise et servira à appliquer le règlement précité afin de toucher les fournisseurs de services détenant des données numériques clés, mais non formellement établis au sein de l’UE.

Impact des règles relatives aux preuves numériques sur le procès

Les règles relatives aux preuves électroniques auront un impact aussi bien sur le procès civil que pénal.

Impact sur le procès civil

La preuve électronique est de plus en plus utilisée dans les procès civils et commerciaux en raison de la numérisation croissante de la communication et des transactions commerciales.

Cependant, l'admissibilité de la preuve électronique dépend des lois et des règles de preuve en vigueur dans chaque juridiction, qui peuvent varier selon les États. En général, la preuve électronique doit être fiable, pertinente et authentique pour être admise devant un tribunal.

Pour établir la fiabilité de la preuve électronique, il est souvent nécessaire de prouver la chaîne de possession et l'intégrité du contenu. Le document ne doit pas avoir été altéré ou modifié après sa création. Pour cela, des techniques telles que la certification numérique, le hachage cryptographique, la signature électronique, l'horodatage, l'archivage électronique ... peuvent être utilisées.

Le 30 janvier 2019, le Conseil des ministres de l’Union européenne a adopté un ensemble de lignes directrices relatives à la preuve électronique dans les procédures civiles afin de faciliter l’utilisation de celle-ci dans les systèmes juridiques et la pratique juridictionnelle[6]. Ces lignes directrices viennent aiguiller les États et les praticiens quant à la prise en compte de ces preuves étant donné que les différents règlements européens se réfèrent aux procédures pénales et non civiles.

Trois principes directeurs et trente-cinq lignes directrices sont exposés aux États membres.

Les trois principes directeurs auxquels les États doivent se soumettre indiquent que :

  • malgré le rôle important des experts dans l'évaluation de la preuve électronique, c'est aux juges de déterminer la valeur probante de la preuve électronique leur étant présentée par une partie. Les juges peuvent toutefois être liés par des jurisprudences existantes en la matière ;
  • les preuves électroniques ne doivent pas faire l'objet de discriminations ou être prioritaires par rapport à d'autres mode de preuves. Les juges devront rester neutres à l’égard de ces preuves ;
  • les parties présentant des preuves électroniques doivent se voir appliquer le principe de l’égalité des armes et l’égalité de traitement. La nature électronique de la preuve ne devra pas porter préjudice à la partie la présentant au cours d’un procès. Étant précisé que l’authenticité de la preuve électronique pourra être contestée par l’autre partie au procès.

Les lignes directrices relatives à l’appréciation de la preuve électronique dans le procès civil auxquelles les juridictions étatiques devront veiller sont au nombre de trente-cinq et couvrent un grand nombre de problémes liés au traitement de la preuve.

Ainsi il est précisé que les juges pourront recueillir les preuves orales à distance, en direct, grâce à des dispositifs techniques, si la nature des preuves le permet. Le recueil du témoignage oral devra se faire, si la situation l’impose, dans le respect de la confidentialité protégeant ainsi le témoin.

Le recueil à distance de la preuve orale devra être effectué par les juges en tenant compte notamment de facteurs tels que :

- l’importance de la preuve dans le procès ;

- le statut de la personne qui témoigne ;

- la sécurité et l’intégrité de la liaison vidéo grâce à laquelle le témoignage doit être transmis ;

- les coûts et les difficultés occasionnés par la comparution de l’intéressé devant la juridiction.

Les méthodes de capture du témoignage devront préserver la transmission de l’image et du son afin que celui-ci colle en tout point à ce qui aurait été entendu et compris si le témoin avait parlé devant le tribunal. La retransmission directe du témoignage nécessite d’être cryptée afin de le protéger de toute interception, rupture de confidentialité, altération …

Que les preuves électroniques soient sous forme orales ou écrites, celles-ci doivent toujours être considérées avec le plus grand des égards par les juges, même elles ne sont pas authentifiées par une signature électronique ou tout autre moyen certifiant leur provenance.

Les lignes directrices indiquent qu’au cours du procès les parties exposant des preuves électroniques ne peuvent être tenues de convertir ces dites preuves au format physique. Il est reproché aux versions imprimées des preuves électroniques de pouvoir être modifiées sans logiciel ni matériel informatique particulier. Elles sont faillibles, selon les motifs exposés des lignes directrices, car elles sont dépourvues de métadonnées (données qui portent sur d’autres données, et elles peuvent être qualifiées d’« empreintes numériques » d’une preuve électronique) ou d’autres données cachées.

En ce qui concerne la collecte et le traitement des preuves électroniques, les lignes directrices prévoient qu’elles devront être obtenues de manière appropriée et sûre, quelle que soit leur nature. Des procédés et procédures devront être mis en place afin d’éviter toute destruction, altération, ou manipulation de la preuve.

La transmission devra se faire aux moyens de services de transferts fiables, sécurisés voire cryptés. Ces moyens devront être non seulement fiables mais également transparents afin que les parties et les juges puissent veiller à ce que la preuve obtenue soit la même que celle fournie par la partie l’invoquant.

Afin de faire face aux multitudes d’informations pullulant sur internet et dont la pertinence laisse parfois à désirer, il est demandé aux juges de veiller à participer à la gestion active des preuves électroniques pour veiller à éviter la production ou la demande excessive ou spéculative de telles preuves. A ce titre, le renfort d’experts pourra être exigé par les juges afin de vérifier l’exactitude de l' origine et la véracité des informations dont elles indiquent être porteuses.

La fiabilité des preuves étant un enjeu majeur, le stockage et la conservation des preuves électroniques permettant ainsi de leur conférer une certaine traçabilité, est nécessaire. A ce titre les preuves électroniques doivent être stockées « de manière à en préserver la lisibilité, l’accessibilité, l’intégrité, l’authenticité, la fiabilité et, le cas échéant, la confidentialité et le respect de la vie privée ». Le contexte de leur production doit être clair pour les juges et tout intéressé qui aurait à les consulter.

Les lignes directrices précisent également que le stockage et la conservation des preuves électroniques doivent se faire en tenant compte des évolutions technologiques afin de préserver au mieux leur qualité.

Une fois le procès terminé, les preuves devront, selon le texte, bénéficier d’un archivage minutieux. Il revient aux juridictions nationales, conformément au droit national, d’archiver les preuves de manière sure. Ce travail d’archivage devra être effectué par des spécialistes qualifiés.

L’importance de la preuve électronique dans le procès civil étant de plus en plus grande du fait de la mutation de nos sociétés, sa protection renforcée par les juges et les États doit conduire - et c’est l’un des objectifs européens - à son utilisation accrue dans la résolution des litiges.Ce mode de preuve doit faire l’objet d’une promotion de la part des États qui sont incités à sensibiliser les citoyens à leurs avantages et intérêts dans le cadre des procédures.

Les praticiens sont également concernés par cette mutation puisque le Conseil des ministres de l’Union européenne prévoit dans ses lignes directrices qu’il sera nécessaire de les former au contexte numérique au sens large et à l’utilisation des technologies, comme l’informatique dématérialisé́e, les services de confiance ou les listes d’enregistrements. De même, les futurs juristes sont concernés par cette mutation dans le dernier point des lignes directrices portant sur la formation des futurs praticiens qui devra comporter des modules consacrés aux preuves électroniques.

Impact sur le procès pénal

Tout d’abord, comme énoncé auparavant, la preuve numérique n’échappe pas au principe de liberté de la preuve en droit pénal. Ainsi, peuvent servir de preuves des éléments enregistrés sur des disques durs, téléphones, fichiers-utilisateurs … Cependant, la preuve numérique semble plus volatile et court le risque d’être effacée par l’entité qui la détient[7].

Par exemple, une impression d’écran est une preuve admissible par un juge mais insuffisante pour donner lieu à une condamnation. En effet, le tribunal de Paris a pu considérer qu’il était possible de modifier la page offline ou l’impression effectuée[8].

Quoi qu’il en soit, tout comme la preuve physique, la preuve électronique doit respecter les principes de loyauté, proportionnalité et du contradictoire imposés par le droit pénal. Si la preuve y contrevient, alors le juge pénal pourra décider de l’écarter.

Ce qui est particulièrement crucial avec une preuve électronique, c’est notamment la façon dont elle est recueillie. En effet, les données personnelles peuvent servir de moyen de preuve et sont la plupart du temps protégées par un mot de passe. La Cour de cassation a considéré que, dans le cadre d’une enquête préliminaire, les enquêteurs pouvaient consulter avec leur propre matériel des données se trouvant sur l’espace personnel d’une personne, même si cela requérait un code d’accès personnel trouvé lors d’une perquisition[9].

De plus, le législateur a dû adapter les procédures pénales classiques afin de rendre plus facile le recueil des preuves électroniques au moyen de la loi du 23 mars 2019.

Ont ainsi été modifiées :

  • les réquisitions aux fins d’obtention des données de connexions (articles 60-1, 77-1-1 et 99-3 du Code de procédure pénale) : les opérateurs français doivent communiquer sur réquisition judiciaire les données utilisateurs et adresses IP de connexion nécessaires à la recherche de la vérité sous certaines conditions ;
  • les interceptions de correspondance en ligne (articles 100 à 100-7 du Code de procédure pénale) : elles sont possibles notamment en cas d’enquête de flagrance ou préliminaire ;
  • les perquisitions et saisies de données informatiques (articles 56 et 57-1 du Code de procédure pénale) intéressant l’enquête.

Par ailleurs, de nouvelles procédures ont été créées afin de pallier les nouvelles difficultés liées aux preuves électroniques.

Ainsi, l’enquête sous pseudonyme (article 706-87-1 du Code pénal), ou parfois dénommée « infiltration numérique », a fait son apparition dans Code pénal[10]. Des officiers de police judiciaire spécifiquement habilités interagissent anonymement avec des suspects sur le web afin de rassembler des éléments de preuve de comportement pénalement répréhensibles. Si cette nouvelle procédure ne devait servir à l’origine que pour les infractions de mise en péril des mineurs ou de traite des êtres humains, elle est désormais utilisée pour lutter contre les crimes et délits punis d’une peine d’emprisonnement et commis au moyen de communications électroniques. Par ailleurs, la Cour de cassation a considéré que cette nouvelle procédure n’était pas contraire aux droits de la défense et à une vie privée[11].

Il est également possible de mentionner la procédure de captation de données qui a été créée par la loi du 14 mars 2011 et modifiée par la loi du 3 juin 2016. Sur désignation du Procureur de la République ou du juge d’instruction, il est possible d’installer un logiciel dit « espion » sur un système informatique afin de récupérer des données numériques nécessaires au procès pénal. Cette procédure a été validée par le Conseil constitutionnel[12].

Par conséquent, il est indéniable que la loi pénale française a entamé un processus d’adaptation à l’utilisation croissante du numérique. Cependant, l’un des principaux obstacles à cette démarche est le fait que les données ne sont pas détenues par l’État mais par des entreprises multinationales qui, la plupart du temps, n’ont pas d’établissement stable en France.

De plus, de nombreux criminels chiffrent leurs données ce qui les rend inaccessibles et incompréhensibles pour les agents de police judiciaire. Une infraction a été créée par l’article 434-15-2 du Code pénal afin de dissuader les personnes interpellées de refuser le déchiffrement de leurs données. Dans une décision du 7 novembre 2022, la Cour de cassation, réunie en Assemblée Plénière, a considéré que le refus de fournir un code de déverrouillage de téléphone, si ce dernier est susceptible d’avoir été utilisé pour la préparation ou la commission d’un crime ou d’un délit, constituait une infraction au sens de cet article 434-15-2 du Code pénal[13].

Enfin, le projet de règlement européen semble pouvoir améliorer la prise en compte des preuves électroniques dans le cadre du procès pénal et permettre une coopération accrue entre les différents États membres. Cette nouvelle réglementation permettrait de mieux appréhender l’organisation de crimes et délits sur internet et d’améliorer l’accès aux données pouvant être utilisées comme éléments de preuves dans la recherche de la vérité.

L’importance de la preuve électroniquee, que le litige porte sur une affaire civile ou pénale, est un sujet réellement préoccupant pour les praticiens du droit dans leur recherche de la vérité. La mobilisation des législateurs européens et français pour encadrer l’administration de cette dernière en est encore une preuve, s’il en fallait.

Fort est à parier que de nouvelles règles en la matière seront développées dans les prochaines années tant en droit communautaire que national.

Chronique « Droit, Juriste et Pratique du Droit Augmentés »

Cette chronique a pour objectif, de traiter de questions d'actualité relatives à cette transformation. Dans un contexte où le digital, le big data et le data analytics, le machine learning et l'intelligence artificielle transforment en profondeur et durablement la pratique du droit, créant des « juristes augmentés » mais appelant aussi un « Droit augmenté » au regard des enjeux et des nouveaux business models portés par le digital.

Avec son Augmented Law Institute, l'EDHEC Business School dispose d'un atout majeur pour positionner les savoirs, les compétences et la fonction du juriste au centre des transformations de l'entreprise et de la société. Il se définit autour de 3 axes de développement stratégiques : son offre de formations hybrides, sa recherche utile à l'industrie du droit, sa plateforme de Legal Talent Management. https://www.edhec.edu/fr/ledhec-augmented-law-institute



[1] « Union de la sécurité : la Commission recommande de négocier des règles internationales pour l'obtention des preuves électroniques », Commission européenne, Communiqué de presse, 6 juin 2019, https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_19_2891

[2] https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/e-evidence/timeline-e-evidence/

[3] https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2020/11/04/digital-europe-council-adopts-new-rules-to-modernise-judicial-cooperation-in-taking-of-evidence-and-service-of-documents/

[4] https://www.coe.int/fr/web/cybercrime/-/second-additional-protocol-to-the-cybercrime-convention-adopted-by-the-committee-of-ministers-of-the-council-of-europe

[5] https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/01/25/electronic-evidence-council-confirms-agreement-with-the-european-parliament-on-new-rules-to-improve-cross-border-access-to-e-evidence/

[6] « Preuves électroniques dans les procédures civiles et administratives », Lignes directrices et exposés des motifs, Conseil de l’Europe, 30 janvier 2019, https://rm.coe.int/lignes-directrices-sur-les-preuves-electroniques-et-expose-des-motifs/1680968ab6

[7] LexisNexis – JurisClasseur Procédure Pénal – Fascicule 20 : la preuve numérique

[8] Sur la question de la preuve par capture d’écran, voir J .-M. Léger, « Les captures d’écran : moyens de preuve des utilisations illicites de créations sur Internet », Village de la Justice, 20 mars 2023, https://www.village-justice.com/articles/les-captures-ecran-moyens-preuve-des-utilisations-illicites-creations-sur,40233.html

[9] Cass. crim., 6 nov. 2013, n° 12-87.130

[10] LexisNexis - JurisClasseur Communication – Fascicule 1110 : Infiltrations numériques

[11] Cass. crim., 7 févr. 2018, n° 17-90.026

[12] Cons. const., 21 mars 2019, n° 2019-778

[13] https://www.courdecassation.fr/toutes-les-actualites/2022/11/07/code-de-deverrouillage-dun-ecran-de-telephone-et-cryptologie

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