AccueilEntrepriseVie des entreprisesL'Initial Coin Offering, une alternative permettant aux start-ups de lever des fonds sans ouvrir leur capital

L'Initial Coin Offering, une alternative permettant aux start-ups de lever des fonds sans ouvrir leur capital

Voodoo, la licorne française spécialisée dans l’édition de jeux vidéo pour smartphones, a annoncé en janvier dernier son intention de réaliser une Initial Coin Offering.
Thomas Leclercq et Louis Vekemans, étudiants en dernière année à l’EDHEC Business School, LLM Law & Tax Management.
© Edhec - Thomas Leclercq et Louis Vekemans, étudiants en dernière année à l’EDHEC Business School, LLM Law & Tax Management.

EntrepriseVie des entreprises Publié le , Thomas Leclercq et Louis Vekemans, étudiants en dernière année à l’EDHEC Business School, LLM Law & Tax Management

Durant la dernière décennie, les cryptomonnaies ont gagné en popularité et ont commencé à être utilisées comme des actifs financiers et des moyens de paiement dans de nombreuses transactions commerciales. Cette popularité croissante a également suscité l'intérêt des juristes qui ont par la suite examiné l'impact des cryptomonnaies sur le droit des sociétés.

Au fil du temps, de nombreux États ont commencé à réglementer les cryptomonnaies et à fournir des orientations juridiques aux entreprises qui les utilisent, faute de législation précise. En outre, de nombreuses entreprises ont pris la décision d’intégrer les cryptomonnaies dans leurs activités commerciales, ce qui a permis de renforcer l’acceptation générale de ces actifs numériques.

L'évolution des cryptomonnaies a été caractérisée par une série de défis et d'opportunités. En effet, les cryptomonnaies ont offert de nouvelles opportunités pour les entreprises, notamment en matière de financement avec le développement des Initial Coin Offerings (« ICOs » ou « offres au public de jetons » en français), mais également en matière de paiements internationaux, devenus beaucoup plus rapides et moins coûteux que les moyens traditionnels.

Parmi les ICOs historiques, on peut notamment citer celle réalisée par Vitalik Buterin, le fondateur d’Ethereum, une plateforme qui permet de construire des applications décentralisées. En 2014, ce dernier a ainsi levé près de 18 millions de dollars grâce à ce nouveau mode de financement[1]. En échange de leur argent, les investisseurs ont reçu des Ethers (ETH), jetons (également appelés « tokens ») émis et échangeables sur la blockchain Ethereum. Depuis lors, l’Ether est devenue l'une des cryptomonnaies les plus populaires au monde, avec une capitalisation boursière de plusieurs milliards de dollars.

En fin de compte, l’évolution des cryptomonnaies continue à être façonnée par les avancées technologiques et les nouvelles réglementations.

L’ICO, une nouvelle opportunité encadrée juridiquement

L’ICO est une opération de financement reposant sur la technologie blockchain, par laquelle une société émet des jetons auxquels les investisseurs peuvent souscrire avec des cryptomonnaies.

Les avantages de l’ICO, nouveau mode de financement des sociétés non cotées

Pour rappel, les cryptomonnaies (ou crypto-actifs pour reprendre la terminologie utilisée par l’AMF[2]) sont des actifs numériques virtuels dont les transactions sont contrôlées et dont le registre est distribué par un système décentralisé. Elles reposent sur la blockchain, une technologie de stockage et de transmission d’informations qui offre un niveau élevé de sécurité et de transparence car elle fonctionne sans organe central de contrôle. Puisqu’elles ne sont subordonnées à aucun organe central, les cryptomonnaies permettent de réaliser des transactions quasi-instantanées, 24h sur 24. L’argent circule ainsi beaucoup plus rapidement, ce qui constitue un avantage par rapport aux monnaies dites « classiques » qui nécessitent l’intervention des banques pour assurer la sécurité des transactions.

Pour en revenir aux ICOs, si elles étaient à l’origine utilisées pour financer le développement de nouvelles blockchains (comme ce fut le cas pour Ethereum), elles se sont aujourd’hui imposées comme un nouvel outil de financement pour un éventail beaucoup plus large de projets, à condition toutefois qu’ils reposent sur l’utilisation d’une blockchain déjà existante.

L’idée qui sous-tend les ICOs est simple : permettre aux entreprises de se financer rapidement et à moindre coût en limitant le nombre d’intermédiaires et en s’affranchissant des frontières. Ainsi, dans une logique similaire à celle du financement participatif (également connu sous le nom de « crowdfunding »), les ICOs permettent aux entreprises de sortir des circuits financiers institutionnels et de solliciter directement les particuliers qui disposent de cryptomonnaies[3].

Ce mode innovant de financement est particulièrement intéressant pour les startups dont le projet est encore au stade embryonnaire, et pour lesquelles il est difficile de lever des fonds auprès des investisseurs institutionnels, souvent frileux à l’idée de prêter à ces sociétés dont le succès ne peut être assuré. De plus, le marché des startups est en plein essor et attire beaucoup de nouveaux entrepreneurs, mais la majorité d’entre eux manquent de liquidité et n’ont pas la chance de disposer d’un réseau développé de business angels et de fonds d’investissement ou n’ont pas forcément l’opportunité de participer à l’émission « Qui veut être mon associé » afin de bénéficier d’une visibilité médiatique.

L’ICO présente de nombreux avantages, tant pour les sociétés en recherche de financement que pour les investisseurs.

Du point de vue de l’entrepreneur, l’ICO permet d’une part de lever des fonds sans avoir à faire entrer de nouvel associé au capital de la société, évitant ainsi de subir une dilution de leur participation à ce capital. Il n’est en effet pas question ici d’émettre de nouvelles actions au profit des investisseurs mais uniquement de leur attribuer des jetons qui leur ouvriront certains droits sur les produits et services développés par la société.

Par ailleurs, l’ICO permet aux sociétés de lever des fonds plus rapidement et à un coût relativement inférieur à celui des opérations traditionnelles de levées de fonds. Cela est dû, d’une part, au peu d’intermédiaires requis pour réaliser l’opération et, d’autre part, à l’absence de formalités obligatoires en dehors de la publication du white paper, comme nous le verrons plus loin.

De plus, la nature numérique des jetons émis permet aux sociétés en recherche de financement d’atteindre un panel plus important d’investisseurs, notamment à l’international. En effet, l’ICO permet à n’importe quelle personne intéressée d’investir dans le projet de lla société, quelle que soit sa nationalité, à condition que cette dernière possède un portefeuille de cryptomonnaies. Certains projets acceptent même que les jetons émis soient directement échangés contre de la monnaie ayant cours légal (monnaie dite « fiat »), tel que l’euro.

Une fois acquis, les jetons peuvent généralement être échangés sur un marché secondaire, au même titre que les actions de sociétés cotées en bourse. L’ICO permet ainsi aux sociétés d’offrir aux investisseurs un niveau de liquidité proche de celui des produits boursiers, sans pour autant devoir subir les contraintes liées au processus d’introduction en bourse (lourdeur des formalités, coûts élevés, etc.).

Pour l’investisseur, l’ICO présente un double intérêt. D’une part, les jetons reçus lui permettront d’accéder, plus tard, aux produits ou services de la société qu’il a financés. D’autre part, les jetons perçus pourront par la suite être échangés sur un marché secondaire en vue, pour l’investisseur, de réaliser une plus-value de cession.

L’encadrement juridique des ICOs

En France, les ICOs sont encadrées par la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises du 22 mai 2019, dite « loi PACTE ». Cette loi a instauré un régime de visa optionnel délivré sous conditions par l’Autorité des marché financiers (« AMF »), sur demande de la société émettrice[4].

Si ce régime est optionnel, et ne constitue donc pas une obligation pour les sociétés souhaitant réaliser une ICO, il convient néanmoins de préciser que seules les sociétés ayant obtenu le visa de l’AMF sont autorisées à démarcher le public dans le cadre de leur ICO[5].

Afin d’obtenir le visa de l’AMF, la société émettrice doit [6]:

  1. être constituée sous la forme d'une personne morale établie ou immatriculée en France ;
  2. établir un document d’information (communément appelé « white paper ») concis et compréhensible pour permettre aux investisseurs potentiels de fonder leur décision et de comprendre les risques afférents à l’ICO ;
  3. mettre en place un dispositif permettant le suivi et la sauvegarde des actifs recueillis dans le cadre de l'ICO ; et
  4. mettre en place des mesures assurant le respect des obligations en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Le visa indique que l’AMF a vérifié que le document d’information était complet et compréhensible pour le grand public. L’obtention d’un tel visa permet d’offrir une réelle crédibilité au projet et de rassurer les investisseurs potentiels qui préfèreront investir dans une ICO disposant du label AMF plutôt que dans une autre n’en bénéficiant pas.

L’AMF peut toutefois décider de procéder au retrait du visa qu’elle a attribué si elle constate, a posteriori, que l’ICO n’est plus conforme au contenu du document d’information ou qu’elle n’offre plus les garanties requises par la loi PACTE[7].

Afin de mettre en garde les investisseurs contre les projets d’ICO vraisemblablement frauduleux, l’AMF recense sur une « liste noire », disponible sur son site internet, les projets ayant fait l’objet d’un retrait de visa ou diffusant des informations inexactes ou trompeuses concernant la délivrance de ce dernier[8].

Les sociétés qui souhaitent réaliser une ICO doivent tout d’abord publier un white paper, document d’information destiné à présenter le projet aux investisseurs potentiels. Ce document doit comprendre les informations essentielles relatives à l’ICO : description détaillée du projet, nombre de jetons à émettre, prix d'émission, droits et obligations attachés à chaque jeton.

Par la suite, la société émettrice doit mettre en place un smart contract permettant d’automatiser et de sécuriser l’opération de levée de fonds. Un smart contact est un programme informatique qui utilise la technologie blockchain pour automatiser l’exécution d’un contrat, sans qu’il ne soit nécessaire de recourir à un tiers de confiance. Il est basé sur des règles prédéfinies et codées dans une blockchain, et s’exécute automatiquement lorsque les conditions d’exécution définies par les parties sont remplies.

Enfin, les investisseurs ayant souscrits à l’ICO seront automatiquement crédités de jetons sur leur portefeuille d’actifs numériques grâce au smart contract enregistré sur la blockchain. Ces jetons sont des actifs numériques programmables qui offrent généralement aux investisseurs un droit d’usage sur les produits et services proposés par la société émettrice. Ils sont qualifiés d’« utility tokens ».

L’ICO, une alternative à l’IPO qui n’est pas exempte de risques pour les investisseurs

Les ICOs ne s’adressent pas uniquement aux startups en phase d’amorçage ; elles constituent également un mode de financement intéressant pour les sociétés de plus grande taille. Ce modèle est alternatif de celui, fortement régulé, de l’introduction en bourse, appelé Initial Public Offering (« IPO »).

L’ICO comme alternative à l’IPO

L’IPO est une opération financière par laquelle une société émet des titres de capital sur un marché boursier. Elle permet aux sociétés de collecter des fonds auprès du public afin de financer leurs différents projets et de développer leur notoriété.

Quant à l’ICO, il s’agit donc d’une méthode de financement qui implique la création et la vente au public de jetons numériques basés sur la technologie blockchain.

Il existe plusieurs différences clés entre l’IPO et l’ICO qu’il est important, pour une société, de considérer avant de décider vers quelle méthode de financement se diriger.

En premier lieu, les IPOs sont strictement encadrées par les organismes de régulation des marchés financiers (telles que l’AMF en France ou la SEC aux États-Unis), tandis que les ICOs sont encore très peu réglementées, voire pas du tout dans certains pays. Ainsi, les sociétés qui souhaitent s’introduire en bourse sont soumises à une obligation d’information beaucoup plus étendue que celles envisageant une ICO. En France, l’introduction en bourse d’une société est soumise au contrôle et à l’autorisation préalable de l’AMF, ce qui n’est pas le cas des ICOs, pour lesquelles la procédure de demande de visa est seulement optionnelle. Ainsi, si l’ICO constitue un mode de financement moins contraignant pour une société en comparaison à l’IPO, elle présente cependant un risque beaucoup plus élevé pour les investisseurs.

De plus, les actions distribuées dans le cadre d’une IPO permettent à leurs propriétaires de voter lors des assemblées générales des actionnaires, leur ouvrant ainsi la possibilité d’influencer certaines décisions concernant la société. A contrario, les tokens émis dans le cadre d’une ICO n’offrent pas droit de vote aux investisseurs mais seulement un droit d’utilisation sur les produits et services proposés par la société.

Enfin, les IPOs sont généralement beaucoup plus coûteuses que les ICOs. En effet, le processus d’introduction en bourse nécessite l’intervention de beaucoup d’acteurs (avocats, auditeurs, experts-comptables ou encore prestataires de services d'investissement) que la société souhaitant entrer en cotation doit rémunérer. L’ICO s’affranchit de bon nombre d’intermédiaires, en particulier lorsque lla société émettrice est déjà fortement implantée dans l’univers des cryptomonnaies et dispose ainsi de compétences suffisantes pour mener elle-même cette opération de financement. L’ICO présente ainsi l’avantage d’être beaucoup moins coûteuse pour la société.

Des risques importants encourus par les investisseurs

Si l’ICO présente de nombreux avantages, y compris pour les investisseurs, elle comprend également d’importants risques qu’il ne faut pas négliger.

Comme pour tout investissement, le premier risque encouru par les investisseurs est la perte du capital investi. Ce risque est particulièrement élevé en matière d’ICO puisque les projets financés sont généralement très jeunes, souvent au stade de la simple idée. L’avenir de ces projets présente ainsi un aléa important qu’il convient de prendre en compte lors de la décision d’investissement.

Par ailleurs, le marché des cryptomonnaies étant encore peu régulé, il est le théâtre de nombreuses escroqueries. En ce qui concerne les ICOs, les comportements frauduleux se sont multipliés et plusieurs porteurs de projets se sont volatilisés après avoir récolté les fonds de leurs investisseurs. C’est ce qu’on appelle un « exit scam » (ou « arnaque à la sortie » en français). C’est le cas par exemple de PureBit, une jeune pousse coréenne qui a disparu après avoir levé 13 500 ETH lors d’une ICO, soit l’équivalent à l’époque de 2,8 millions de dollars[9].

Pour éviter d’être victime d’une ICO frauduleuse, les investisseurs doivent ainsi redoubler de vigilance dans leur choix de projets. Il est donc indispensable pour ces derniers d’effectuer des recherches minutieuses sur les sociétés dans lesquelles ils souhaitent investir, en particulier au niveau des membres qui composent leurs équipes.

L’ICO est donc un moyen pratique et rapide pour les sociétés, et en particulier pour les jeunes startups, de se financer sans passer par les méthodes classiques de financement, qui privilégient généralement les sociétés plus développées. Ce nouveau mode de financement doit néanmoins être utilisé avec précaution. En effet, la législation relative aux ICOs est récente et sera très certainement amenée à évoluer. En outre, la cryptomonnaie n’étant pas encore pleinement instaurée dans notre économie, des changements juridiques et techniques sont également à prévoir, qu’ils soient positifs ou négatifs.

Chronique « Droit, Juriste et Pratique du Droit Augmentés »

Cette chronique a pour objectif, de traiter de questions d'actualité relatives à cette transformation. Dans un contexte où le digital, le big data et le data analytics, le machine learning et l'intelligence artificielle transforment en profondeur et durablement la pratique du droit, créant des « juristes augmentés » mais appelant aussi un « Droit augmenté » au regard des enjeux et des nouveaux business models portés par le digital.

Avec son Augmented Law Institute, l'EDHEC Business School dispose d'un atout majeur pour positionner les savoirs, les compétences et la fonction du juriste au centre des transformations de l'entreprise et de la société. Il se définit autour de 3 axes de développement stratégiques : son offre de formations hybrides, sa recherche utile à l'industrie du droit, sa plateforme de Legal Talent Management. https://www.edhec.edu/fr/ledhec-augmented-law-institute



[1] https://academy.youngplatform.com/fr/cryptomonnaies/ico-ethereum/

[2] https://www.amf-france.org/fr/quest-ce-quune-cryptomonnaie

[3] https://www.ailancy.com/ico-une-nouvelle-forme-de-financement-des-entreprises-a-encadrer-afin-de-proteger-les-investisseurs/

[4] Article 85 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises

[5] https://www.amf-france.org/fr/espace-professionnels/fintech/mes-relations-avec-lamf/obtenir-un-visa-pour-une-ico/preparer-une-ico

[6] https://www.amf-france.org/fr/espace-professionnels/fintech/mes-relations-avec-lamf/obtenir-un-visa-pour-une-ico/preparer-une-ico

[7] Article L552-6 du code monétaire et financier

[8] https://www.amf-france.org/fr/espace-professionnels/fintech/mes-relations-avec-lamf/liste-noire

[9] https://www.nasdaq.com/articles/fraudulent-south-korean-exchange-pure-bit-nabs-%242.8m-in-ico-exit-scam-2018-11-09

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