AccueilActualitéRégion Île-de-France & Grand ParisMourn baby Mourn : à Beaubourg, Katerina Andreou envoie (toujours) du lourd

Mourn baby Mourn : à Beaubourg, Katerina Andreou envoie (toujours) du lourd

Katerina Andreou est de celles qui, même du fond d'une dépression, réveilleraient les morts. Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, elle donnait à Beaubourg son dernier solo “Mourn Baby Mourn“, né des suites du confinement.
Katerina Andreou, Mourn Baby Mourn.
© Hélène Robert - Katerina Andreou, Mourn Baby Mourn.

ActualitéRégion Île-de-France & Grand Paris Publié le , par Araso

Du temps a passé depuis que l’on découvrait le travail de Katarina Andreou en 2016 dans le cadre du festival Impuls Tanz de Vienne, avec son solo A Kind of Fierce. Arborant fièrement le jaune poussin jusque du costume aux peintures de guerre, la chorégraphe nous entraînait dans une course dansée déjantée et ludique.

Quelques années et plusieurs créations plus loin, une pandémie mondiale et un certain désenchantement ont imprégné de leur morsure l’élan d’autrefois. Ainsi, il émane du solo Mourn Baby Mourn une dinguerie douce-amère. Il y est question de dépression et de deuil collectifs.

Une atmosphère de chantier fantôme

C'est dans une atmosphère de chantier fantôme que Katerina Andreou déboule sur scène, t-shirt gris, baskets noires et short hawaïen de deuil. On entend des bruits de construction d'un autre temps : les occupants ont déserté en laissant tout en plan. Des parpaings gisent en vrac sur le sol, que Katerina Andreou entreprendra de déplacer un à un, méticuleusement et méthodiquement. Pourtant, dans un costume faussement estival, la frange et ses boucles lâches, elle tient plus du Robinson Crusoé que de la main d'œuvre en BTP.

On ne sait pas à quoi on assiste. La concentration est totale, le rituel ultra sérieux. Chaque bloc est placé au millimètre près, l’ambiance est à la cérémonie, l’effort côtoie le déséquilibre. Imperturbable, Katerina Andreou monte son mur. Une discussion en forme de questions-réponses est projetée sur le mur en progrès. Monologue intérieur, elle rappelle que le projet est né en plein confinement, dans une tentative d’évacuerla colère et les frustrations qui débordent. Comment trouver les mots, des mots si lourds que pour les balancer il faut brûler des milliers de calories ? "La détresse ? C'est peut-être un peu extrême" conclut la voix sur le mur. En effet, l’abattement n’est pas au programme.

Derrière le mur de pierre, les années 1990

On se prend à imaginer que, derrière ce mur de pierres, se cachent les années 1990, où, pour Katerina Andreou, "le feeling" de la narration est resté bloqué. C'est "comme un bug dans un jeu vidéo, pas de bonus, pas de next level". Comme elle, on en vient à se demander si pour faire notre deuil, il faut s'inventer les futurs que l'on n'aura pas, et les emmurer vivants. Un temps, la tentation apparaît de se perdre dans des paradis virtuels édulcorés, pas même déguisés. Ainsi une montagne de synthèse se concrétise sur le mur, avec sa piste enneigée bordée de sapins qui défile en boucle. Un paysage dépeuplé qui ne débouche sur rien à part sur lui-même. Des dauphins font une apparition, les mêmes qu’en tant qu’adolescents dans les années 1990, on a collectionné.

Quand tout semble éteint, le corps reprend dessus, tressaillant dans un ultime sursaut. A l'image des sportifs d’appartement, dont les vidéos de confinement s’étalaient sur les réseaux, Katerina Andreou arpente le plateau à grandes foulées. Pantin désarticulé, elle se cabre, convulse, bondit. La transe est finie, elle s’arrête, genoux écorchés, et nous regarde. L'exorcisme a opéré, le collectif peut se réinventer. On songe aux mots d'Henri Michaux dans un texte intitulé, justement, Exorcisme : rien de tel qu'une attaque en forme de bélier pour désamorcer les puissances environnantes du monde hostile.

Spectacle vu au Centre Pompidou dans le cadre du Festival d'Automne, à Paris.

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