Sur le Quai de la Tournelle, à quelques pas de Notre-Dame, Albert Abid et ses collègues ont reçu un courrier de la préfecture de police le 25 juillet dernier. Il leur est demandé, pendant les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, de quitter leurs emplacements pour des raisons de sécurité, car la cérémonie d'ouverture aura lieu sur le fleuve, à proximité.
Près de 600 des quelque 900 boîtes "vert wagon" qui bordent la Seine, renfermant des livres d'occasion et autres curiosités soigneusement rassemblées par les bouquinistes, seront démontées et déplacées dans la capitale. Certaines de ces boîtes n'ont pas bougé depuis plus d'un siècle.
Sur les rives de la Seine, Albert Abid ne peut cacher sa déception : "Le moral est en berne", avoue-t-il. Si le mauvais temps fait partie du quotidien du bouquiniste, il a du mal à accepter l'idée que pendant les Jeux olympiques de Paris, ses emblématiques boîtes de livres seront déplacées.
Un "village des bouquinistes"
La ville de Paris a récemment annoncé qu'elle assumerait les frais de réparation des boîtes endommagées, un montant qui pourrait atteindre 1,5 million d'euros, selon Jérôme Callais, le représentant de l'Association culturelle des bouquinistes de Paris.
Malgré cette prise en charge des réparations, à ce jour, aucune indemnité n'a été proposée aux 140 vendeurs touchés, pour compenser le déplacement temporaire de leurs activités pendant les Jeux olympiques. Toutefois, la mairie a évoqué une alternative : la création d'un "village des bouquinistes", destiné à reloger ces professionnels durant la période des Jeux.
Ce "village des bouquinistes" permettrait aux vendeurs de continuer leur activité dans un environnement spécialement aménagé pour eux, préservant ainsi leur tradition culturelle unique et leur présence emblématique le long des rives de la Seine. Toutefois, les détails concernant ce projet restent encore à préciser.
“On ne peut pas mélanger la Pléiade avec les livres de poche”
Cette décision n'a pas été facile à accepter pour ces gardiens du patrimoine littéraire et culturel de Paris. Albert Abid, 62 ans, s'est installé il y a dix ans. Pipe en bois au creux des lèvres, l'homme est formel : "Techniquement, c'est infaisable", prévient-il.
Défaire les auvents rouillés, transporter les boîtes "fragiles difficiles à empiler", sans compter le recours à "trois ou quatre personnes" pour les soulever... Autant de contraintes qui nécessiteraient plusieurs mois pour tout déménager, juge cet ancien libraire.
Quatre boîtes vertes par bouquiniste, chacune contenant l'équivalent d'une vingtaine de cartons. Là encore, ça coince: "L'organisation des bouquins, c'est un travail de plusieurs années... On ne peut pas les ranger en vrac, mélanger la Pléiade avec les livres de poche !", lance-t-il.
"Je ne peux pas imaginer cette ville sans ses bouquinistes !", lâche tristement Jovita Minceviciute, une Lituanienne de 31 ans en visite dans la capitale. "A chaque fois que je rentre chez moi, je suis contente de montrer mes trouvailles à mes proches", explique-t-elle.
"Comment on peut imaginer les JO de Paris sans une partie de Paris ?". Murés dans le décor parisien depuis 450 ans, les bouquinistes convoitent l'inscription au patrimoine mondial de l'Unesco, déjà attribuée aux rives de la Seine en 1991.
Seize millions de touristes sont attendus dans la Ville Lumière pendant les Jeux, un manque à gagner pour les bouquinistes, déjà délaissés par les Parisiens et fragilisés par la pandémie de Covid-19.