AccueilActualitéRégion Île-de-France & Grand ParisQuand les avocats débattent de l’inflation normative

Quand les avocats débattent de l’inflation normative

L’inflation législative était au cœur des réflexions de la Grande rentrée des avocats qui s’est ouverte sur la table ronde "Trop de droit tue le droit".
L’avocat Gérard Christol interpellant les intervenants sur “l'effondrement des connaissances en droit dans la société” et “l'illettrisme des parlementaires”.
© DR - L’avocat Gérard Christol interpellant les intervenants sur “l'effondrement des connaissances en droit dans la société” et “l'illettrisme des parlementaires”.

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En guise d’entrée en matière, François-Noël Buffet, le président de la Commission des lois du Sénat a dressé une liste à la Prévert effrayante des nouvelles lois et décrets, pourtant non exhaustive, constatant l'inflation normative française exponentielle.

Nous n'avons cessé de produire. Pourtant, nous savons que trop de loi tue la loi et que de nombreux élus locaux nous demandent d'arrêter de faire des lois. (…) La production normative est pourtant vue comme l'arme principale pour orienter l'action publique. (…) Nous sommes assez impuissants à lutter contre ce phénomène”, a déploré l’élu.

Le parlementaire a parfaitement mis en lumière les tenants et aboutissants de la problématique. Les textes de loi grossissent de jour en jour, à l'instar de la loi 3DS, dont l'évolution “donne le tournis”, au gré de l’actualité politique.

Culture législative

Les intervenants ont tous souligné l’amour de la France pour la loi.

Nous sommes dans un Pays qui, culturellement, adore administrer et mettre tout dans la loi qui est le grâle absolu”, a déclaré François-Noël Buffet en citant l’exemple de “feu l'article 1382” du code civil qui consacrait la responsabilité civile des personnes et dont “la qualité légistique a beaucoup perdu” avec sa réforme.

En outre, les lois de simplification sont “davantage des lois de modification du droit qui ne font parfois que déplacer la complexité en amont”, a-t-il souligné.

Cette inflation normative est inévitable selon le sénateur car elle est liée au droit supranational, “en particulier depuis le traité de Lisbonne qui nous oblige à mettre en cohérence notre droit national avec le droit européen”, ou encore à la pression sociale avec l'accroissement de la participation du public (pétitions et référendums). L’élu dénonce également la généralisation des procédures parlementaires d'urgence qui amènent à la création de textes de mauvaise qualité.

La France est effectivement “un pays de culture juridique dans lequel le droit est fort” a confirmé Stéphane Braconnier, président de l’Université Paris Panthéon-Assas, même si le droit a tendance à être fragilisé et est devenu un “objet de contestation”.

Ça continuera car nous sommes dans un monde en perpétuelle évolution”, a commenté François Molins, ancien Procureur général près la Cour de cassation, “pas très optimiste” face à ce constat. Prenant l’exemple du code de procédure pénale 2024, qui a plus de 400 pages supplémentaires que le précédent, le magistrat regrette la “vision beaucoup trop légicentrée” du Gouvernement qui continue de légiférer pour un oui ou pour un non.

Il faudrait contraindre le législateur a une certaine abstinence face à cette inflation normative”, en a conclu François-Noël Buffet en proposant d'améliorer les études d'impact et de changer les mentalités des parlementaires.

© DR - Me Laurence Junod-Fanget, la professeure Soraya Amrani Mekki, le procureur François Molins et le professeur Stéphane Braconnier essayant de trouver des solutions aux conséquences néfastes de l’inflation normative.

Problème de confiance et d’accès au droit

Plus grave encore, l'inflation législative “a largement contribué à l'embolie du fonctionnement de l'institution judiciaire” et cela “saute aux yeux” selon l'ex procureur François Molins, chiffres sur la lenteur de la Justice à l’appui.

Par ailleurs, le manque de confiance des citoyens dans la justice et les juges se fait criant. Cette “perte de confiance et de légitimité” est “un enjeu considérable” qu'il faut adresser selon lui, notamment via l'augmentation du temps passer sur les dossiers, une meilleure communication avec les justiciables, retrouver une forme de collégialité pour les affaires complexes, et faire un effort sur la motivation et la qualité des décisions.

Pour Stéphane Braconnier, cette inflation est devenue “délétère” car elle pose une question de confiance dans la norme en créant des textes incompréhensibles, même pour les professionnels. A la question de savoir si la formation des juristes pourrait régler le problème, le professeur répond par l'affirmative et précise que ces juristes doivent acquérir une culture juridique générale, comprendre la place du droit dans la société et se spécialiser ensuite. Enfin, il estime nécessaire d’intégrer les défis technologiques et l'intelligence artificielle dans le droit. Pour lui, l’IA est “un enjeu majeur qui entre en résonnance claire sur la légitimité de la norme et la confiance” dans celle-ci.

Trop de droit tue les droits”, a lancé maître Laurence Junod-Fanget, présidente de la commission Règles et usages du CNB.

Dans une intervention dynamique l’avocate a donné l’exemple des difficultés causées par certaines réformes : la procédure d'appel avec les fameux “délais Magendi”, d’une part, et l'Aripa (recouvrement des pensions alimentaires), d’autre part, qui ont créé de véritables “pièges de procédure”. Pour éviter de tomber dedans, la technicienne fait la promotion de la procédure participative de mise en état qui permet aux avocats d'être maîtres de la mise en état de leurs affaires, qui représente près d'un tiers de leur temps selon l'intervenante.

La professeure à l’école de droit de Sciences Po Paris Soraya Amrani Mekki a développé le sujet à travers sa matière de prédilection qu’est la procédure civile, en critiquant la “décretivomania”, le “pullulement de texte” et le “chantier permanent” de la matière, responsables de l'absence de clarté du cadre juridique et des décisions judiciaires. Pour elle, le droit processuel est victime de nombreux vices dont le principal est le manque d'anticipation et de bon sens. Elle milite “pour une sobriété textuelle. Elle a également soulevé le problème d'accompagnement de mise en action des textes avec les acteurs de la Justice, et souhaite favoriser non seulement l'information et la formation mais également le dialogue et la communication.

La justice n'est pas un service public comme les autres mais un service rendu au public”, a rappelé la professeure.

En conclusion, elle a fait la promotion des modes amiables de résolution des différends, qui répondent aux besoins des justiciables en partant des faits, et sont de nouveaux outils qui permettent aux avocats de faire du sur-mesure.

Besoin d’enseigner le droit dès le collège

La formation est “un véritable enjeu car le droit est pour le moment la seule matière qui n'est enseignée qu'à partir de l'université”, a confirmé StéphaneBraconnier, président d’Assas, fier de rappeler qu’un diplôme d'université a été mis en place par son université pour former les professeurs du secondaire à la nouvelle option “Droit et grands enjeux du monde contemporain” enseignée en option en Terminale.

François Molins a également fait la promotion de l'éducation au droit et aux problèmes sociaux contemporains auprès des lycéens, et mêmedes collégiens, afin d’améliorer la confiance des citoyens dans le système judicaire.

Cette sensibilisation des élèves pour acquérir cette culture juridique a été évoquée à l'occasion des États généraux de la Justice auxquels ont participé les avocats via le CNB. “On attend trop tard pour adresser le sujet”, a lancé Maître Junod-Fanget qui propose de le faire dès l'école primaire.

La professeure Soraya Amrani Mekki souhaite, quant à elle, “la diffusion de la culture du droit vers tous”, pas seulement les élèves, notamment via les bus et les cliniques du droit. Elle a mis en lumière l'éducation dans les universités via ces dernières qui permettent de “former des juristes tout en maintenant un lien avec les personnes qu'ils devront protéger”.

Intervenu en fin de débat, l'ancien président de la Conférence des bâtonniers Gérard Christol a souligné “l'effondrement des connaissances en droit dans la société” et dénoncé “l'illettrismedes parlementaires. L’avocat de 80 ans a ainsi demandé au CNB d'envoyer des confrères dans les conseils municipaux “pour éduquer les élus et citoyens” afin de pouvoir faire face à la montée des extrêmes politiques.

Une “question délicate”, a répondu François-Noël Buffet, car la formation des parlementaires est effectivement absente ou très inégale. Pour le sénateur, “pas besoin d’être spécialiste du droit mais d'avoir une culture générale dessus”.

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