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Regards croisés sur l’entreprise individuelle à l’IS

Sabrina Sabbah Pagès, expert-comptable associée au sein du cabinet CPA et Eric Bonin, avocat fiscaliste, vont nous en dire un peu plus sur cette possibilité pour les EI de demander l’assimilation à une EURL à l’IS.
Sabrina Sabbah Pagès, expert-comptable associée au sein du cabinet CPA et Eric Bonin, avocat fiscaliste.
© DR - Sabrina Sabbah Pagès, expert-comptable associée au sein du cabinet CPA et Eric Bonin, avocat fiscaliste.

EntrepriseVie des entreprises Publié le , Sabrina Sabbah Pagès, expert-comptable associée au sein du cabinet CPA et Eric Bonin, avocat fiscaliste

Soyons factuels pour commencer : conseillez-vous ce statut ?

Eric Bonin : A ce jour, j’ai pour approche d’informer mes clients de l’existence de ce nouveau statut plutôt que de les conseiller de l’adopter « dans la précipitation ». En effet, alors même que ce régime est issu d’une loi du 14 février 2022 entrée en vigueur le 15 mai 2022, l’administration fiscale a attendu le 23 novembre 2022 pour publier au Bofip ses commentaires sur le régime juridique et fiscal du nouveau statut de l’entrepreneur individuel.

L’option pour le régime de l’impôt sur les sociétés au titre de l’année civile 2023 devant être prise au plus tard le 31mars 2023, le délai de réflexion était donc très court. Le fait que l’option pour l’IS soit révocable au cours des 5 premières années ne justifie pas selon moi de s’engager trop rapidement car l’option pour l’impôt sur les sociétés nécessite un examen attentif de la situation de chaque professionnel intéressé et l’éventuelle renonciation à cette option dans les 5 ans entraîne des incidences fiscales liées au retour au passage de l’impôt sur le revenu.

Sabrina Sabbah Pagès : Je suis tout à fait d’accord. J’en parle à tous mes clients indépendants ou en phase de création. Toutefois, je le conseille à certains mais pas à tout le monde. Typiquement, plusieurs de mes clients sont des médecins bénéficiant d’exonérations fiscales particulières – notamment l’exonération pour zones déficitaires en offres de soins. L’avantage lié à cette exonération se porte sur le chiffre d’affaires à l’impôt sur le revenu, sur la rémunération à l’impôt sur les sociétés. Le calcul n’est pas le même, et je déconseille donc cette option aux médecins pour lesquels cette exonération est significative … Donc oui, je le conseille quelques fois, mais avec prudence et après analyse.

Quels sont les principaux avantages ?

E. B. : Sur le plan fiscal, ce nouveau statut a pour principal avantage de permettre aux entreprises individuelles de pouvoir opter pour le régime de l’impôt sur les sociétés de façon simple en faisant ce choix par le biais d’une lettre d’option envoyée à l’administration fiscale sans avoir besoin de créer une société (EURL, SELU, etc…..).

Toutefois, la principale interrogation est de savoir si cette simplicité va réellement se confirmer dans la pratique car ce nouveau régime est proche de celui de l’EIRL (Entreprise Individuelle à Responsabilité Limitée) qui a rencontré un succès limité du fait de plusieurs difficultés d’application sur le plan juridique, fiscal ou comptable. Le choix pour l’EIRL n’est d’ailleurs plus possible depuis le 15 février 2022

S. S P. :

Pour mes clients, le principal avantage est de pouvoir arbitrer entre rémunération et dividendes.

Même sans volonté d’optimisation fiscale, cela permet de ne plus être tributaire des dates de règlements clients qui peuvent parfois créer un effet yoyo. En effet on voit souvent : un chiffre d’affaires élevé une année N -> le dirigeant doit régler une régularisation significative de cotisations sociales l’année suivante, ce qui a pour effet de diminuer son résultat imposable N+1 ->l’année suivante il paye moins de cotisations, ce qui augmente sa rémunération imposable -> etc. Finalement d’une année sur l’autre, beaucoup d’entrepreneurs individuels n’ont pas la même rémunération imposable et c’est compliqué de se projeter. L’Impôt sur les sociétés permet de choisir le montant de sa rémunération et donc de pouvoir décider qu’elle sera constante d’une année sur l’autre.

Enfin, cela permet de dégager un excédent de trésorerie sur la société, qu’il est possible de réinvestir ultérieurement.

Comment arbitrer entre les rémunérations et les dividendes ?

S. S P. : L’arbitrage rémunération / dividendes permet en effet d’économiser de l’argent et c’est un vrai axe de conseil. En outre, en EI à l’IS, on est imposé sur (sa rémunération + CSG CRDS non déductible ) – ( 10% de cette somme plafonnée à 13 522 euros). Cela signifie que pour les rémunérations les plus élevées, même sans arbitrage et sans recul, l’option peut permettre d’économiser jusqu’à 6 085 euros. C’est toujours appréciable !

E. B. : Cet arbitrage se fait dossier par dossier car il faut tenir compte à la fois des besoins personnels de l’exploitant individuel, des autres revenus de son foyer fiscal, de ses projets d’investissements professionnels et privés et de sa stratégie fiscale et patrimoniale à court terme et à long terme.

Dans tous les cas, il faut respecter des principes importants :

  1. le niveau de la rémunération doit notamment être cohérent avec le chiffre d’affaires réalisé afin de ne pas risquer d’être jugé anormal par l’administration fiscale.
  2. Il faut aussi éviter de trop faire varier la rémunération d’une année sur l’autre.
  3. Un des éléments importants est d’essayer de laisser en réserve chaque année un minimum de 42 500 euros de bénéfice afin de bénéficier au maximum du taux réduit d’IS à 15%.

A titre d’exemple, 42 500 euros de bénéfices non prélevés chaque année en rémunération et/ou en dividendes représenteront au bout de 10 ans une trésorerie disponible après impôt sur les sociétés de 361 250 euros (soit 42 500 x 10 ans – 6 375 x 10 ans), cette somme étant même supérieure si elle est placée.

Cette somme de 361 250 euros serait de seulement 170 000 euros si l’exploitant individuel n’avait pas opté pour l’impôt sur les sociétés et avait conservé chaque année 42 500 euros de bénéfices ayant supporté environ 60% de prélèvements fiscaux et sociaux (impôt à la tranche maximale de 45% et charges sociales d’environ 15%).

Se pose bien sûr dans cette stratégie la question de l’utilisation de cette trésorerie cumulée de 361 250 euros (investissements ou simple réserve financière) et de la fiscalité complémentaire lors de son appréhension ultérieure en une ou plusieurs fois sous forme de rémunération et/ou de dividendes. Dans tous les cas, cela va permettre au professionnel de faire ses propres choix et de les maîtriser plutôt que de subir immédiatement de lourds prélèvements fiscaux et sociaux.

Y a-t-il des risques ? des inconvénients ?

E. B. : Il y a un risque inhérent au passage sous le régime de l’impôt sur les sociétés. Le régime de l’IS peut s’avérer pénalisant ou inutile dans certains cas. Sabrina Sabbah Pagès a parlé des médecins conventionnés du secteur 1, c’est un très bon exemple. Il y a d’autres situations qui peuvent être pénalisantes, par exemple les professions libérales ayant un écart important entre leurs recettes facturées et leurs recettes encaissées, les professionnels souhaitant ou devant prélever la totalité de leur bénéfice, etc.

S. S P. : Tout à fait. A l’impôt sur les sociétés, il faut s’assurer de la bonne répartition entre rémunération et dividendes : on ne peut pas prendre 100% de son résultat en rémunération, sinon en cas de difficultés à honorer ses dettes, la responsabilité de l’entrepreneur pourra être mise en jeu (faute de gestion).

De la même manière, Il ne faut évidemment pas non plus prendre tout en dividendes, ne serait-ce que pour une raison de couverture sociale : sauf contrats particuliers, en cas d’accident de la vie, la prévoyance se base sur la rémunération, pas sur les dividendes !

Toutefois, je tiens à préciser que pour éviter ce risque, il suffit d’être accompagné !

E. B. : D’autres inconvénients peuvent être liés aux cas de cession ou de cessation d’activité qui entraînent en principe la fin de l’entreprise individuelle et, par suite, la taxation immédiate de la totalité des bénéfices et des réserves accumulés, ce qui n’est pas nécessairement le cas lorsque le professionnel exerce au travers d’une structure juridique unipersonnelle (EURL, SELU…..) qu’il peut éventuellement conserver après sa cessation d’activité en transformant son objet social et/ou sa forme juridique.

S. S P. : C’est donc important d’anticiper la cessation d’activité. Il y a aussi selon moi un inconvénient comptable mineur, mais qui peut demander un peu plus d’organisation sur le plan administratif. On passe en comptabilité d’engagement, ce qui demande un peu plus de suivi. Rien de très gênant, surtout si vous avez un expert-comptable.

Concrètement comment se passe l’option ?

E. B. : un courrier simple au service des impôts des entreprises doit être envoyé avant la fin du troisième mois de l'exercice au titre duquel l'entreprise souhaite être soumise pour la première fois à l'impôt sur les sociétés. Donc pour 2023, avant le 31 mars 2023.

Toutefois, plusieurs aspects fiscaux importants doivent être étudiés avant l’envoi de cette option car divers choix vont devoir être faits lors de l’envoi des déclarations à souscrire du fait de la sortie du régime de l’impôt sur le revenu :

  • déclaration de cessation d’activité BNC ou BIC.
  • montant des revalorisation des actifs corporels et incorporels « utiles ».
  • choix du mode de taxation des plus-values latentes au jour de l’option pour l’IS (imposition immédiate en cas d’exonération partielle ou totale possible en vertu des articles 151 septies et 151 septies B du CGI ou bien report de l’imposition prévu par l’article 151 octies du CGI).
  • mise en place du premier bilan d’ouverture sous le régime de l’impôt sur les sociétés.
  • anticipation des plus-values futures en cas de cession ou de cessation d’activité.

S. S P. : l’option est révocable pendant 5 ans. On m’a souvent demandé s’il y avait imposition des plus-values latentes : dans un sens comme dans l’autre, la réponse est non. Si vous avez un véhicule en EI à l’IR, que vous optez pour l’IS, que vous dénoncez cette option, vous ne serez imposable sur la plus-value que lors de la cession.

Par contre, attention : si une société qui a opté pour l’IS dénonce cette option, elle ne pourra plus réopter pour l’IS ! On peut donc se tromper, mais une fois seulement.

De même, passé le délai de 5 ans, « l’option pour l’IS » devient irrévocable.

Vous avez souhaité échanger ensemble sur le sujet, pourquoi ?

S. S P. : Maître Eric Bonin et moi partageons beaucoup de valeurs et travaillons régulièrement ensemble. La relation client est primordiale pour nous deux : lui comme moi connaissons et accompagnons nos clients sur le long terme, en prenant en compte les volets professionnels, mais aussi personnels.

L’importance de l’interprofessionnalité est pour nous deux une évidence. Cela fait partie de l’ADN de CPA, le cabinet dont je suis associée. Mon métier est technique, c’est un métier de conseil. J’accompagne au quotidien des groupes et des indépendants dans leur développement. Je dis régulièrement à mes clients que si je ne suis pas experte dans un domaine donné, je n’hésite pas à faire appel à ceux que je considère comme les meilleurs en la matière. Cela a déjà été le cas de Maître Eric Bonin.

E. B. : Le passage d’une entreprise individuelle soumise aux règles de l’impôt sur le revenu au régime de l’impôt sur les sociétés n’est pas une simple option fiscale mais constitue un nouveau mode de gestion ayant des enjeux à la fois juridiques, fiscaux, comptables et patrimoniaux, tant sur le court terme que sur le long terme.

Ce type de décision doit donc être prise après avoir consulté à la fois un avocat fiscaliste et un expert-comptable, voire dans certains cas également un notaire, sachant que ces consultations n’ont d’intérêt que s’il existe des échanges constructifs entre les divers professionnels concernés avant, pendant et après le passage au régime de l’impôt sur les sociétés afin d’accompagner dans la durée les professionnels concernés.

J’ai traité plusieurs dossiers avec Sabrina Sabbah Pagès dans ce domaine et j’ai pu apprécier ses compétences et son professionnalisme ainsi que son ouverture à la nécessité d’une véritable synergie entre nos professions respectives.

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