Le mouvement Ethic a reçu dernièrement Rodolphe Belmer, directeur général de TF1, pour un déjeuner-débat sur le thème des défis des grands médias nationaux. Pour donner son sentiment sur l’évolution du secteur, le dirigeant est parti des bases. Pour lui, les grands médias sont le fruit de la rencontre entre trois éléments. La ligne éditoriale, soit l’ensemble de programmes présentés aux consommateurs, téléspectateurs ou abonnés (selon le modèle économique), un projet culturel et un projet technologique.
Historiquement, les médias sont nationaux, puisque la télévision et la radio (dans une moindre mesure) sont structurés par des fréquences approuvées par les États. “Cela dessine des écosystèmes protégés au sein de barrières physiques, les fréquences”, rappelle Rodolphe Belmer. Ces écosystèmes, composés de “quelques médias assez forts et en général très bien financés” connaissent une intensité concurrentielle assez faible. “C’est cela qui décide l’économie éditoriale, culturelle, et la rentabilité de ces activités”, ajoute-t-il.
Internet a rebattu les cartes
Mais l’arrivée de la toile a complètement rebattu les cartes. “Pourquoi? Parce que l’internet se joue des frontières. Il est possible d’avoir accès, partout dans le monde, à des contenus issus de différents endroits et qui ne viennent pas de facto de son périmètre national”, poursuit Rodolphe Belmer, qui souligne que cela change complètement le jeu concurrentiel, avec l’émergence de nouveaux acteurs dans chacun des pays proposant une offre éditoriale nouvelle. Il y a eu, en France, des acteurs de la vidéo à la demande comme Netflix, Disney+, etc.
La toile a aussi permis un élément qui a été mal compris au départ, à savoir les effets d’échelle (scalabilité). C’est-à-dire qu’il suffit de fabriquer un contenu, historiquement un logiciel, et de le déployer ensuite partout dans le monde. “Il y a des coûts initiaux assez faibles et des capacités de distribution des produits digitaux qui sont quasi-universelles grâce à l'expansion de l'internet”, résume Rodolphe Belmer.
En pouvant se déployer mondialement, les acteurs de l’internet sont capables de capter un nombre d’abonnés très important. Cela leur permet d’investir davantage dans les contenus et de proposer de meilleurs produits que n’importe quel autre acteur du payant. “Personne d’autre ne peut proposer ça. Cette logique de scalabilité apportée par l’internet provoque des effets d’échelle monumentaux”, insiste Rodolphe Belmer. Cette logique a été mal comprise en Europe, permettant à plusieurs acteurs américains d’en profiter.
Le coût des programmes s'accroît
Quels sont, par conséquent, les effets économiques et éditoriaux sur les médias ? Selon Rodolphe Belmer, le coût des programmess’accroît, tandis que l’audiences’érode partout dans le monde occidental. “C’est un peu embêtant pour les acteurs locaux de la télévision en général. C’est aussi embêtant pour les acteurs de la gratuité, même si on est en concurrence indirecte avec les acteurs du payant”, confie le directeur général de TF1.
Il est probable que “la messe soit dite” s’agissant des acteurs du payant et que les Netflix et autres Disney+ conduisent à un étiolement des acteurs locaux. “La question se pose pour les acteurs comme nous, ceux du gratuit, qui subissent une concurrence indirecte des acteurs de la vidéo à la demande. Ils viennent rogner nos audiences. Cela ne percute pas directement notre modèle économique, puisque nous ne vendons pas d’abonnement à des foyers. Nous les incitons à regarder des programmes gratuitement et nous intégrons de la publicité pour financer notre économie”, estime Rodolphe Belmer.
Le streaming gratuit en ligne de mire
Du fait de la différence de taille avec les acteurs de la vidéo à la demande, il est impossible de les rattraper sauf à investir des dizaines de milliards de dollars. Aussi, Rodolphe Belmer mise sur le streaming gratuit.
D’autant que la publicité ciblée (la caractérisation de la publicité) marque aujourd’hui le pas. D’abord parce que depuis l’arrivée du système d’exploitation mobile IOS 14, un système de filtrage des cookies a fait son apparition, limitant la publicité digitale personnalisée. Ensuite en raison de l’application du RGPD, qui demande aux utilisateurs de consentir au traitement des données personnelles. Si les internautes donnaient à 80 % leur consentement, ils ne sont plus que 50 % aujourd’hui. “Du fait de ces deux éléments, le nombre de personnes que l’on peut toucher avec la publicité sur lesmobiles est en érosion”, résume Rodolphe Belmer.
La publicité digitale sur téléphone mobile est arrivée à une forme de maturité et cela crée un “appel d’air” pour le développement d’une offre de streaming gratuite à la télévision. Cette offre va elle-même va permettre de créer une nouvelle offre de publicité dans des programmes de qualité qui sont acceptables de ce fait par les annonceurs.