Il nous parle des objectifs et des enjeux de l’association qu’il préside, de sa défense de l'échelon intercommunal et de ses attentes envers le Gouvernement pour lui accorder plus de moyens et plus de compétences.
Affiches Parisiennes : Pouvez-vous nous présenter votre action en tant que président et nous parler des intercommunalités ?
Sébastien Martin : L'association Intercommunalités de France regroupe depuis 1989 l'ensemble des communautés de communes, communautés d'agglomération, communautés urbaines et métropoles. Il y a quatre types d'intercommunalité dans notre pays et on les regroupe toutes. Il y a 1 254 intercommunalités en France et un bon millier est adhérent à Intercommunalité de France. Notre rôle, c'est à la fois de leur apporter du service, des conseils mais aussi de les représenter auprès du Gouvernement et du Parlement, de défendre le fait intercommunal, la coopération intercommunale auprès d'eux ainsi que nos compétences, autour du développement économique mais aussi de la transition écologique.
Vous avez tout récemment tenu votre 33ème convention, à Orléans. Pouvez-vous nous parler de vos travaux ? Qu'en est-il ressorti ?
Cette convention montre l'importance du fait intercommunal. Nous étions 2 000 participants. C'est le plus gros congrès d’élus organisé en province, juste après le congrès des maires, qui, lui, est à Paris. Sept ministres sont venus pour parler de la question des transitions, notamment de la transition écologique et de la meilleure manière d'accompagner nos concitoyens. Parce que la transition écologique ne se fera pas sans eux. Comment nous, intercommunalités, avec les compétences qui sont les nôtres, l'eau, les déchets, les transports, la rénovation de l'habitat, soit déjà 90 % des enjeux nous répondons à ces questions et comment nos élus, qui sont en première ligne, peuvent accompagner nos concitoyens ?
Thème important également, la réindustrialisation de la France et de nos territoires. Êtes-vous optimiste ? Avez-vous un soutien suffisant du Gouvernement dans ce domaine ?
Je suis toujours optimiste ! Je pense que le Gouvernement a bien compris le rôle des intercommunalités pour réussir la réindustrialisation du pays et que sans l'implication des élus qui ont la compétence, notamment en matière de foncier économique, il ne se passera rien. Je suis satisfait de voir que Roland Lescure, lors de notre congrès, a lancé un nouvel appel à projets pour « 50 sites industriels clés en main ». C'est un appel aux territoires pour rendre clé en main des sites industriels, des fonciers économiques. Je suis satisfait de voir que le 9 et 10 novembre prochain, à Chalons-sur-Saône, dans mon agglomération, on va dévoiler la nouvelle carte de tous les territoires labellisés "Territoires d'industrie" par le Gouvernement. Je crois qu'il y a une tendance de fond qui est en train de s'inscrire sur la réindustrialisation. Maintenant, il faut qu'on aille plus loin sur les enjeux de formation, d'enseignement supérieur, pour rapprocher l'enseignement supérieur et la formation des territoires industriels. C'est un défi majeur pour notre pays mais on peut y arriver.
Je suis toujours optimiste ! Je pense que le Gouvernement a bien compris le rôle des intercommunalités pour réussir la réindustrialisation du pays.
Y a–t-il un manque de formations dédiées à l'industrie enseignées par l’Éducation nationale ? N'y a t-il pas un décalage avec des formations qui forment les jeunes pour les services plutôt que pour le travail en usine ?
La formation a suivi le mouvement de désindustrialisation du pays. Effectivement, il y a sans doute moins d'appétence pour les formations industrielles, mais parce que l'économie, pendant 30 ans, a détruit les emplois industriels. Maintenant, on est enfin dans un cycle positif. Mais ça ne sert à rien de pointer du doigt l'Education nationale ou qui que ce soit. On y arrivera tous ensemble ou on n'y arrivera pas. Le monde de l'entreprise a sa part du travail à faire, il peut aussi créer des CFA, créer des outils de formation. Et nous les élus, on peut se battre auprès du monde de l'éducation, de l'université, pour ouvrir des formations qui correspondent aux filières économiques qui sont dans nos territoires. Et puis, l'État, à l'Éducation nationale et les Universités, peut continuer à valoriser certaines formations, certains métiers de l'aéronautique, du nucléaire, de l'automobile, de l'industrie du luxe, qui parfois, malheureusement, ferment faute de candidats.
L'industrie, c'est plein de métiers. Il faut qu'on parle de ce qu'on produit. Il faut faire comprendre aux jeunes qu'en allant dans ces filières, ils ne vont pas simplement être dans l'industrie, ils vont participer, d'une part, à la reconquête de l'autonomie industrielle de notre pays et, d'autre part, participer à la transition écologique à laquelle ils sont très attachés.
Pour les agglomérations, avez-vous les mêmes problématiques ?
La France est diverse. On est très marqué par notre désir d'égalité, d'unité. C’est une force. Mais en même temps, on a du mal à faire vivre la diversité. On ne comprend pas quand quelque chose est différent d'un territoire à un autre et pourtant, c'est une réalité. Le projet que porte Intercommunalités de France, c'est de changer ce logiciel très descendant avec un État qui a pris en main les choses et a demandé aux territoires de les mettre en œuvre. Aujourd'hui, nous, on part du constat qu'il faut que les territoires gagnent en maturité et en capacité à assumer leur destin. Il faut avoir une vision pour son territoire, un projet. Et ensuite, à l'État, à la région, au département, à l'Europe aussi, de l’accompagner. Et ainsi on aura une France des bassins de vie qui sera en capacité d'assumer son destin.
Comment assurez-vous votre connexion avec les institutions européennes ? Comment passez-vous vos messages ?
Par le Gouvernement. Le contact entre les collectivités et les institutions européennes est très faible. Les régions sont autorités de gestion des fonds européens et nous permettent d'en bénéficier mais il y a très peu de contacts directs avec l'Union européenne. Elle discute avec les États, c’est comme ça. J’ai la chance de bien connaître mon député européen mais c’est rarement le cas.
Aujourd'hui, quelles sont vos priorités ? Trouver de l'emploi pour les jeunes, trouver des employés pour les entreprises qui sont sur votre territoire ?
Ma priorité sur mon territoire, c'est de parvenir à cet équilibre justement, parce que je pense que c'est aussi un outil d'attractivité économique entre la nécessaire industrialisation, le développement de nos entreprises, la création de richesse et la préservation de nos paysages, de la qualité de vie, de la qualité de l'eau, de l'air. L'un ne va pas sans l'autre. Notamment, je vois bien que les populations qui arrivent, parce qu'elles sont recrutées par quelques grandes boites, sont très attachées à ça. Et si on n'y fait pas attention, elles ne viendront pas travailler chez nous. Donc, il faut arriver à avancer sur ses deux jambes et les intercommunalités, à travers leurs compétences, sont vraiment axées autour de ça. Elles ont été faites à l'époque pour mettre fin à la concurrence sur un même territoire en matière économique.
Et ensuite, les compétences qu'elles ont prises au fur et à mesure sont devenues des enjeux de transition écologique, comme l'aménagement de l'espace avec les plans locaux d'urbanisme intercommunal. Ce sont des compétences qui sont au cœur de la transition écologique.
Votre agglomération est proche de Lyon. C'est un avantage pour vous ou êtes-vous en concurrence pour les entreprises ?
On est pile au bon endroit parce qu'on est suffisamment prêts pour bénéficier d'un aéroport international, d’une grande université, mais suffisamment loin aussi pour ne pas se transformer en banlieue résidentielle de Lyon, ce qui n'est pas du tout un modèle qui me plairait. On a notre modèle de développement. On a des gens qui viennent de Lyon habiter chez nous pour travailler. Et en même temps, quand on a besoin d'aller prendre l'avion, c'est qu'à une heure et quart de voiture ou de train. Quand on a envie d'aller visiter cette grande ville, on peut y aller facilement. Donc, on a les avantages sans les inconvénients.
Aujourd'hui, quel est le message que les intercommunalités veulent faire passer au Gouvernement ?
Le message est simple. On est à une époque où le repli sur soi est à la mode, y compris le repli sur soi communal. Je pense que notre pays a fait le choix il y a quelques années en arrière de dire “On ne fait pas comme les Allemands” qui ont divisé par trois le nombre de leurs communes, comme d'autres pays européens. Nous, on a considéré que les Français étaient attachés à leur mairie, à leur clocher donc on n'a pas supprimé les communes. On fait de la coopération intercommunale. A un moment donné, quand on est trop petit, on ne peut pas agir et, aujourd'hui, ceux qui attaquent l'intercommunalité en disant “repli communal”, je leur demande “quel est le plan B” ? Sans l’intercommunalité ce sont les grandes communes qui s'en sortiront. Ceux qui prétendent aider et défendre les petites communes en attaquant l’intercommunalité ne leur rendent pas service. Parce que la grande commune, elle a des cadres, de l'ingénierie, elle a des moyens pour faire des choses. La petite commune en a parfois pas du tout et elle peut trouver de l’ingénierie dans l'intercommunalité. Et l'intercommunalité, ce n'est ni plus ni moins que le seul endroit où tous les maires sont autour de la table. Vous êtes nécessairement à la table du président de l'agglomération quand vous êtes maire. Il n'y a pas d’interco sans communes, il n'y a pas de communes sans interco ! On a fait des outils qui sont bons même s’ils ne sont pas parfaits, mais le message c'est que l’intercommunalité est un bien précieux à préserver.
Je suppose que le Gouvernement sera d'accord avec vous ?
Parfois, vous savez, il peut céder facilement aux sirènes d'une forme de populisme qui voudrait rendre toutes les compétences aux communes et dirait que les intercommunalités sont des outils technocratiques qui ne servent à rien. Il y en a qui sont capables de porter cela aujourd'hui.
On est à une époque où le repli sur soi est à la mode, y compris le repli sur soi communal.
Il est vrai que, parfois, les gens ne savent pas toujours que vous existez…
C'est pour cela qu’il faut arrêter de s'embêter avec ce débat- là. Sinon, vous ne garderez que le maire et le président de la République. Ce sont les deux seules personnes qui savent à peu près à quoi elles servent.
Les maires ont souvent une demande auprès du Gouvernement concernant les financements. Est-ce que vous soutenez ces demandes ?
Bien sûr. Aujourd'hui, on est attentif à ce que l'État assume ses responsabilités et maintienne les moyens qu'il nous a promis, d'autant qu’il n'y a plus beaucoup d'impôts locaux. Par exemple, le Gouvernement avait décidé de supprimer la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, qui était un impôt touché par les intercommunalités et les départements. Finalement, il ne la supprimera qu'en quatre ans. Je lui dis, dans ce cas-là, si vous la gardez encore quatre ans, ce qui va vous faire gagner 14 milliards d’euros, il est logique qu'une partie nous revienne. Parce qu'en plus, c'est un impôt économique. Cela pourrait financer un programme comme “Territoire d'Industrie” et venir soutenir les projets des intercommunalités en faveur de la réindustrialisation du pays. La boucle serait bouclée. Et puis après aussi, un autre sujet serait de maintenir l'indexation sur l'inflation des bases de fiscalité locale. Sinon, on ne pourra pas rendre service à nos populations.
La première ministre devait passer vous voir. Attendiez-vous un message de sa part ? Vous en a-t-elle fait passer un ?
Il n'y a pas eu de message de passé parce que l'actualité est venue tout bousculer. Elle m'a appelé pour s'excuser, elle était sur la route, elle était quasiment arrivée à Orléans. Je la rencontrerai dans les prochains jours, on fera un point sur les différents dossiers, mais dans le contexte actuel, je vois mal comment la Première ministre, de toute façon, pourrait même, a posteriori, faire des annonces ou dire ce qu'elle aurait dû dire l'autre jour. Ça serait très décalé qu’elle ne soit pas sur les thématiques sur lesquelles on l'attend dans le contexte international et national que l'on connaît.