Selon elle, l’économie du territoire reste encore trop dépendante des emplois publics et du tourisme, alors qu’il existe de véritables potentiels de développement en matière d’innovation, d’environnement et d’agriculture…
Affiches Parisiennes : Comment se porte aujourd’hui votre île et département d’Outre-mer ?
Victoire Jasmin : La Guadeloupe est un archipel magnifique mais il n’en demeure pas moins que les habitants rencontrent au quotidien de nombreuses difficultés économiques, sociales et sanitaires.
Les problèmes ne sont, certes, pas nouveaux, mais les problématiques d’accès à l’eau potable, mais aussi le manque et la vétusté des infrastructures d’assainissement, pour un territoire régulièrement impacté par des catastrophes naturelles sont de plus en plus pénalisantes tant en termes de santé publique que de développement économique. Il est inadmissible qu’en 2024, plus de 80 % des systèmes d’assainissement soient défectueux. Je vous laisse imaginer une minute que 80 % du système d’assainissement parisien soient défectueux... mon optimisme me fait croire que la remise en état aurait été bien plus rapide et avec plus de moyens mis à disposition des décideurs locaux.
Je souhaite vraiment améliorer le quotidien de mes concitoyens, et pour cela, il convient, en priorité, de tout mettre en œuvre afin que tous les Guadeloupéens et Guadeloupéennes aient accès à l’eau dans des conditions normales, comme partout en France. Je suis intimement convaincue d’y avoir grandement contribuée, comme élue locale, par les programmes d'actions de prévention des inondations (Papi), mais également au niveau législatif, par l’accroissement du plan Eau DOM dès 2019, ou par l’adoption par amendement, d’une tarification sociale de l’eau pour les Guadeloupéens les plus modestes,
Sur le plan économique, la Guadeloupe a toujours été un territoire dynamique en termes de création d’entreprises, mais il est regrettable que l’économie du territoire reste encore trop dépendante des emplois publics et du tourisme, alors qu’il existe de véritables potentiels de développement en matière d’innovation, d’environnement et d’agriculture.
Les conséquences de l’absence de diversification du tissu économique s’inscrivent dans le long terme et les premières victimes sont les jeunes qui se retrouvent avec un taux de chômage beaucoup plus élevés que dans l’Hexagone. De plus, la crise sanitaire n’a pas arrangé les choses, beaucoup d'entreprises ont du mal à rebondir. Toutes ne sont pas en mesure de régler les charges fiscales et sociales, et certaines qui ont pu bénéficier du prêt garanti par l'État sont encore en grande difficulté. Je pense qu’il faut continuer à soutenir ces entreprises par des aides exceptionnelles en attendant leur retour à l’équilibre financier et faciliter le rebond.
Concernant l’employabilité sur notre territoire, des difficultés persistent, liées notamment à la formation professionnelle. L’absence de mise en cohérence de l’offre de formation par rapport aux besoins des territoires est une vraie urgence. Les jeunes qui partent pour les études supérieures souhaitent revenir dans l’archipel, à condition de trouver un emploi adapté à leurs prétentions salariales. Cette problématique est récurrente dans nos Outre-mer, elle fait partie de mes principales préoccupations, à savoir comment faire revenir nos forces vives pour dynamiser notre territoire. Nous devons collectivement valoriser certaines filières en tension et informer les failles et les jeunes eux-mêmes. Les services académiques d’information et d’orientation doivent travailler davantage avec les entreprises et les collectivités.
Enfin, comment ne pas aborder la problématique du grand âge et leurs difficultés pour trouver des structures de prise en charge. Pour garantir le droit à la continuité et la qualité des soins, nous devons recruter plus de médecins sur notre territoire. Nous sommes tous conscients que la Guadeloupe manque cruellement de spécialistes, il faut parfois attendre entre 3 et 6 mois pour avoir un rendez-vous. Cette situation est catastrophique et déplorable. Nous, les élus, devons d’abord penser aux Guadeloupéens et Guadeloupéennes pour améliorer les conditions de vie de tous nos ainés et de la population. Par ailleurs, c’est un thème que je souhaiterais soumettre aux travaux de la Délégation sénatoriale aux Outre-mer, dès la prochaine rentrée parlementaire.
Ces sujets sont vraiment prioritaires pour nos concitoyens. Vous êtes un cadre de santé, vous avez dû énormément vous impliquer pendant la crise Covid. Aujourd'hui, quel constat faites-vous pour la Guadeloupe ?
Il est vrai que pour la Guadeloupe, cette période a été très éprouvante au niveau social et sanitaire. Je n’étais plus en fonction en qualité de Cadre de Santé Médico Technique mais j’étais tout de même très inquiète. En effet, le refus de vaccination de certains membres du personnel soignant et la suspension de leurs revenus a eu pour principale conséquence de fragiliser encore plus le pouvoir d’achat des familles avec un risque de basculer dans la précarité pour des professionnels pourtant formés alors même que l’offre de soin en Guadeloupe après l’incendie du CHU était déjà en grande difficulté. J’ai, dès le début de la crise sanitaire, alerté sur les risques de ne pas adapter les politiques publiques décidées nationalement aux réalités de mon territoire. Heureusement, nous avons pu compter sur la solidarité des Guadeloupéens, la situation sociale reste encore très délicate et les tensions quelquefois palpables. La population a vraiment besoin de sérénité et d’apaisement.
Il est plus qu’urgent de répondre concrètement aux aspirations légitimes de la population et des professionnels de santé, pour avoir enfin une offre de santé de qualité et sur l’ensemble du territoire de l’archipel. Car se soigner correctement quand on vit dans les dépendances comme les Saintes, Marie- Galante, la Désirade ou les Iles du Nord, peut s’avérer un véritable parcours du combattant.
En tant que professionnelle de santé, j'ai fait partie de la commission d'enquête pour l'évaluation des politiques publiques après la première vague de la pandémie et j'ai pu mesurer les difficultés rencontrées par nos collectivités territoriales et par les familles. Avec mon collègue Jean Sol, je suis co-auteur d’un rapport sur la santé mentale établi au nom de la Commission des affaires en 2021. Les recommandations de ce rapport pourront désormais nous servir de base pour mieux répondre au besoin d’accompagnement et de suivi des personnes atteintes de pathologies mentales. En Guadeloupe, tout comme dans la plupart des territoires d’outre-mer, nous manquons de spécialistes, notamment des psychiatres et des pédopsychiatres. Il serait intéressant d’avoir une chaire de pédopsychiatrie, avec l'université. Consciente que le chemin est encore long pour rattraper notre retard par rapport à l’Hexagone, je ne cesserai jamais de me battre pour porter et défendre la voix des Guadeloupéennes et des Guadeloupéens.
L’éducation a également été impactée par la crise de la Covid ?
J’ai été plusieurs années présidente de la première fédération de parents d’élèves de Guadeloupe, donc l’éducation est pour moi essentielle. Notre jeunesse est un atout et je peux vous citer nombre d’exemple de l’excellence de cette jeunesse guadeloupéenne. Pour autant, il demeure que les perspectives offertes par la société à notre jeunesse sont souvent insuffisantes tant au niveau scolaire, culturel que sportif.
En dépit de la bonne volonté des enseignants et des élus locaux, les établissements scolaires rencontrent actuellement d’énormes difficultés en Guadeloupe, c’est pourquoi il faut davantage de moyen humain et matériels dans le secteur de l’éducation afin de répondre correctement à leurs attentes qui se font de plus en plus urgentes. Il est essentiel que nous contribuions tous à une meilleure prise en compte de nos jeunes concitoyens, parce que la situation ne peut pas continuer à se dégrader ainsi. Nous devons faire encore plus pour les étudiants qui ont déjà payé un lourd tribut pendant cette période de pandémie. Il faut savoir qu’une grande majorité de jeunes guadeloupéennes ont été encore plus touchées par la précarité menstruelle.
Ce sont toutes ces causes de la crise sanitaire qui ont notamment eu pour conséquence de fragiliser grandement les emplois saisonniers. Il est temps de reconstruire la société guadeloupéenne, avec toutes les bonnes volontés, mais surtout en donnant les conditions de réussite à tous ses enfants. Les familles ont vraiment besoin des différents réseaux d’aide à la parentalité.
Vous avez raison de le dire, parce que notre avenir sera fait par nos enfants. On sait très bien que les difficultés des territoires insulaires sont amplifiées...
Bien traiter les enfants et les jeunes, c’est éviterles actes de violence qui se multiplient quelquefois en Guadeloupe. Et c’est regrettable. Trop d’armes à feu circulent sur le territoire. Nous devons combattre la délinquance et la violence et éviter qu’elles se banalisent, aucun territoire n’est épargné. Je tiens à mettre l’accent sur les violences intrafamiliales et les violences faites aux femmes qui ne diminuent pas d’après les statistiques. Nous devons rendre hommage à ces familles monoparentales qui portent, élèvent et éduquent leurs enfants dans des conditions parfois très compliquées et qui malgré tout œuvrent pleinement à leur réussite.
C’est notamment ce qui ressort du rapport numéro 304 fait pour la Commission des affaires sociales concernant la santé mentale. Les femmes ont un rôle essentiel dans la construction de nos enfants, alors écoutons et entendons leur détresse. Mettons l’accent et les moyens sur la prévention.
Par ailleurs, je suis également co-auteur du rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer et la délégation aux droits des femmes sur la parentalité en outre-mer. L’objectif est d’apporter une meilleure connaissance des besoins des familles des outre-mer, de mieux adapter les réponses et de mieux accompagner les parents. Dans un contexte où les codes de la parentalité ne cessent d’être bousculés, il est primordial de s’interroger sur les politiques publiques aujourd’hui déployées en faveur du soutien à la parentalité. Le défi est de les dimensionner et les adapter à la hauteur des besoins et des particularités de chacun des territoires, dans une approche différenciée, transversale et non stigmatisante.
Après plus de cinq mois de travaux conjoints, près de 120 personnes auditionnées en visioconférence et lors de déplacements en Guadeloupe, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, les rapporteurs formulent vingt recommandations qui s’articulent autour de quatre axes : mieux sensibiliser aux enjeux et responsabilités de la parentalité ; aider et accompagner les familles précaires et vulnérables ; renforcer les services de proximité pour tous ; soutenir les acteurs associatifs et mieux coordonner les actions entre acteurs locaux et nationaux.
Vous êtes intervenue récemment lors d’un colloque organisé par l’association des communes et des communautés de communes d'outre-mer (ACCDOM) sur la santé des femmes. Votre voix en tant qu'experte dans ce domaine de la santé est appréciée et écoutée avec beaucoup d'attention...
Oui, il était important pour moi de participer à ce colloque. Il semble que mon intervention a marqué les esprits d’après les retours que j’ai eus. Je pense qu’il est essentiel d’aborder sans tabou la réalité de la vie de nos concitoyennes. Les femmes sont amenées à concilier leur vie personnelle, leur vie de mère de famille, leur vie de professionnelle, quand elles ont la chance d'avoir un emploi – beaucoup sont au chômage – et leur vie associative ou sportive. Elles négligent beaucoup plus leur santé que celle de leur conjoint, de leurs enfants ou de leurs propres parents. Même si on note de nombreuses actions de prévention pour le cancer du sein, le col de l'utérus ou le côlon, les protocoles ne sont pas toujours suivis. Elles consultent tellement tardivement qu’il faut parfois les hospitaliser en urgence. Par ailleurs, les femmes seules avec enfants et isolés géographiquement sont en général plus négligentes quant au suivi de leur état de santé. Elles ont quelquefois des difficultés pour faire garder les enfants. C’est pourquoi, il faut mieux les accompagner en les informant sur tous les dispositifs existants. Malheureusement, on se rend compte qu'il y a beaucoup de personnes qui ne bénéficient pas de tous leurs droits, notamment à cause de la fracture numérique, en effet, tout le monde n’a pas accès à amelie.fr dans des conditions optimales. Je déplore l’absence d'accueil téléphonique et d'accueil physique dans certains de nos services publics. Sans oublier la problématique de l'illettrisme et les complications qui en résultent. Le taux de non recours aux droits est encore trop important. Même s'il y a une volonté de mettre des maisons de service public de proximité, pour le moment, ce n'est pas forcément opérationnel partout et il y a beaucoup de personnes qui ont des difficultés pour se déplacer, les personnes en situation de handicaps sont également en très grande difficulté.
On constate aussi des problèmes liés à la PMI, parce qu'il n'y a pas de médecin. Les droits existent, mais les patients n’en bénéficient pas parce qu'ils ne savent pas comment s’y prendre pour bénéficier de ses droits. Il est donc urgent de mettre en place des guichets uniques pour faciliter l'accès et la connaissance des dispositifs existants. La dernière des difficultés concerne l'application du droit dans nos territoires. Il est intéressant de souligner que la loi 3 DS de 2022 permet aux ARS d'intégrer dans leur conseil d'administration des élus. Pour le moment, ce n'est pas mis en application, alors que cette cogestion devrait permettre aux élus d’être actifs dans le dispositif, la planification, la gouvernance de ces institutions. Cela permettrait de faciliter la mise en œuvre des contrats locaux de santé pour que sur le territoire, tous les élus, les assistantes sociales et les associations soient en mesure de régler efficacement toutes les disparités et tous les problèmes qui se posent.
Vous êtes une sénatrice très impliquée pour ces questions de prévention en santé. On dit souvent que la santé, c'est la chose la plus importante ?
Cela me fait plaisir de vous entendre dire que je suis très impliquée. A mon sens, il est nécessaire de travailler avec tout le monde, car c'est ensemble que nous élaborons les conditions d’une meilleure vie pour nos concitoyens. Quels que soient nos bords politiques, nous avons le même objectif, être aux services de nos territoires. Pour moi, l'économie ne peut pas aller sans le social et la santé. Nous avons besoin de personnes en bonne santé pour consommer, pour travailler et pour développer la Guadeloupe. La période de la Covid nous a montré la fragilité de notre économie. Malgré le plan de relance, nos entreprises ont plus que jamais besoin de soutien afin d’éviter plus des faillites. Vous comprendrez pourquoi la bonne santé financière de nos entreprises est aussi importante que la bonne santé de nos concitoyens.
Pour les prochaines élections sénatoriales, combien y a t’il de listes pour l'instant déclarées en Guadeloupe. Vous êtes la seule femme parlementaire en lice, pour le moment ?
Oui je le suis et effectivement, à ma connaissance, il y a d’autres têtes de listes masculines déclarées. Or, je suis en Guadeloupe, actuellement la seule femme parlementaire et candidate, puisque les députés sont des hommes, comme les deux présidents du conseil régional et départemental ou encore les présidents des EPCI de Guadeloupe continentale.
Certes, ce choix est le fruit de votes démocratiques ce que je respecte, je travaille très bien avec mes collègues masculins de tous bords politiques, mais il m’a semblé qu’il aurait été regrettable que les femmes et les hommes de Guadeloupe grands électeurs, dans la tradition politique de Gerty Archimède ou de Lucette Michaux Chevry, ne puissent avoir la possibilité de choisir directement la femme qu’ils souhaitent élire Sénatrice, et ainsi avoir l’assurance d’être représenté par une femme parlementaire de valeur et d’expérience.
Donc, je suis, actuellement, la seule femme candidate tête de liste. Il est vrai que j'ai été élue sur une liste portée par un homme. Maintenant, je considère que je suis tout autant légitime pour constituer une liste, dans la mesure où j'ai beaucoup travaillé pour l’intérêt de tous les Guadeloupéens et Guadeloupéennes, mon bilan peut en attester.
En somme, comme tous mes autres collègues sortants, je souhaite défendre mon bilan auprès des grands électeurs et démontrer que ma candidature répond à une volonté de poursuivre mes nombreuses actions entreprises avec les élus locaux, sans dogmatisme, au-delà des logiques des partis ou des querelles d’hommes ou d’égos, mais uniquement pour l’intérêt des Guadeloupéennes et des Guadeloupéens. Toujours très impliquée dans le quotidien des élus de mon territoire, qui aspirent à plus de souplesse normative et à plus de moyens, depuis le début de mon mandat, en qualité de membre des délégations sénatoriales des droits des femmes et des outre-mer mais aussi en qualité de membre de la commission des affaires sociales, j’ai beaucoup contribué aux travaux favorables à l’épanouissement de mes concitoyens.
Ma candidature est aussi l'occasion pour moi de présenter mon engagement et ma vision pour la Guadeloupe au travers de mon bilan. Oui j'ai beaucoup travaillé sur de très nombreux sujets : de santé, sur les risques naturels majeurs, sur l’économie, sur l’agriculture, le chlordécone, le foncier agricole, sur les finances locales, le logement, sur les droits des femmes etc.
Nous devons avancer pour le pays. On a vraiment besoin d’hommes et des femmes qui souhaitent apporter une vision neuve, des personnes d'expertise mais on a également besoin de transmission. Je souhaite être reconnue comme la candidate qui veut faire bouger les choses en contribuant efficacement au changement et à l'amélioration des conditions de vie de tous nos concitoyens.
Pour toutes ces raisons, je veux porter la voix de nos élus, pour la Guadeloupe, pour les Guadeloupéens, au Sénat, car quels que soient nos bords politiques, je ferai pour vous ! Pour nous tous.